Carl Sheard, Ferme du Cochon bleu : élevage en plein air et maternités collectives

Lors de son stage de fin d’études co-encadré par Welfarm, Amélie-Baya Ritter, étudiante en master « sciences de l’animal pour l’élevage de demain », a rencontré Carl Sheard, qui élève des porcs en agriculture biologique dans le Maine-et-Loire. L’originalité de cet élevage est que les animaux sont élevés avec un accès à l’extérieur à tous les stades de leur développement, y compris pour les truies en maternité.

Ferme du cochon bleu - Car Sheard
Des truies et leurs petits dans un parc de maternité de la Ferme du Cochon bleu. ©Amélie-Baya Ritter

Fils de professeur d’université anglais, Carl Sheard a grandi sur la ferme de son frère, de quinze ans son aîné. Diplômé du Royal Agricultural College à Cirencester (Royaume-Uni), Carl Sheard s’est installé en 1990 à Segré-en-Anjou Bleu, dans le Maine-et-Loire, après sept ans d’enseignement agricole outre-Manche. Là-bas, 40 % du cheptel porcin est élevé en extérieur, et l’éleveur décide de conduire son exploitation de cette manière. Convertie à l’agriculture biologique en 1997, La Ferme du Cochon bleu s’étend sur 45 ha, dont 12 ha de parcours pour les animaux.

Carl Sheard
Carl Sheard,
éleveur de porcs
biologiques
dans le Maine-et-Loire.
Photos : CarlSheard

L’éleveur, naisseur-engraisseur, possède une trentaine de truies reproductrices et produit environ 400 porcs par an. Les truies, dites « truies bleues », sont issues de croisements de race Saddleback ‒ une race britannique rustique ‒ et Landrace ‒ une race classique de l’élevage français. Ces truies ont des taches bleu gris, qui donnent son nom à La Ferme du cochon bleu. Un clin d’œil à l’Anjou Bleu, toponyme qui fait référence à la présence de mines d’ardoise dans cette région, les cochons profitant de la vue sur une ancienne mine voisine.

« Reines du plein air »

Les truies sont réparties sur trois bandes dans des parcs arborés avec des cabanes pour s’abriter.

Selon Carl Sheard, les Saddlebacks sont « les reines du plein air, c’est la norme en élevage bio en Angleterre ». Une race « rustique, adaptée à l’élevage en extérieur », détaille-t-il. Les porcelets sont issus d’un croisement final avec un verrat Duroc ibérique.

Les animaux sont élevés en plein air à toutes les étapes de leur vie, sauf lors de l’insémination : les truies sont alors rentrées en bâtiment durant 28 jours jusqu’à l’échographie, avant d’être déplacées à nouveau au parc. Elles y restent en groupe jusqu’à deux à trois semaines avant la mise bas, puis sont transférées dans les parcs de maternité, qui accueillent jusqu’à huit truies simultanément avec huit cabanes individuelles à leur disposition.

Les truies peuvent partager les cabanes jusqu’à un ou deux jours avant la mise bas, puis se séparent naturellement dans une cabane chacune. Après la mise bas, chaque truie reste dans sa cabane avec ses porcelets pendant un ou deux jours

« J’ai adopté ce système de maternités collectives, car la première fois que j’ai mis des truies dehors, en parcs individuels, elles ont cassé les fils des clôtures pour se rejoindre, se souvient l’éleveur. J’ai alors décidé de respecter leur comportement social naturel et je les ai laissées ensemble. »

Allaitement collectif

Un système qui a permis à Carl Sheard d’observer des allaitements croisés (les porcelets ne tètent pas forcément leur mère), ce qui est positif, car cela permet aux petits de changer de tétines pour en avoir de « meilleures », selon l’éleveur.

Truie allaitement plein air

Les truies font preuve d’un grand respect les unes envers les autres au moment de la mise bas, puis communiquent sans agressivité avec les porcelets des unes et des autres. Ces derniers forment un petit groupe et grandissent ensemble.

Les porcelets sont ensuite sevrés vers l’âge de sept semaines, et sont répartis dans deux parcs de post-sevrage avec des abris mobiles, afin de pouvoir déplacer les animaux lorsqu’ils commencent à abîmer les sols.

Les porcs de La Ferme du Cochon bleu profitent d’une alimentation variée composée de céréales, d’enrubannage et de fruits et légumes, dont certains sont produits sur l’exploitation (betterave, topinambours…), dans une démarche de recherche d’autonomie alimentaire. Ils pâturent aussi librement les prairies de la ferme, composées de trèfles, chicorée et plantain.

« Au fur et à mesure que notre projet agroforestier, vieux de 6 à 8 ans, mûrit, les porcs bénéficient d’une offre croissante de fruits et de noix tombés au sol », précise Carl Sheard.

La fin de l’engraissement est effectuée en bâtiment, mais avec un accès à un parcours extérieur. « Dans le cadre du projet Valorage , nous y avons expérimenté divers fourrages, comme le maïs, les haricots, diverses variétés de trèfle, de la chicorée et des topinambours », détaille l’éleveur.

Système « éthique »

La motivation principale de Carl Sheard à pratiquer l’élevage en plein air est le respect du bien-être animal et le soutien de la résilience du sol, donc du système. Une manière de travailler « plus naturelle, plus humaine et plus éthique », selon lui.

« Le signe d’un bien-être animal adéquat est qu’un animal est en bonne santé et se sent bien sur le plan physiologique et psychologique, explique Carl Sheard. Pour y parvenir il faut :

– une alimentation variée et optimale, composée non seulement d’aliments biologiques commerciaux, mais aussi de fourrage de légumineuses, d’herbes, de racines telles que le topinambour, d’enrubannage riche en probiotiques et de vers, d’insectes et de larves riches en protéines ;

– un abri adapté, fourni par les cabanes mises à disposition des animaux et par les arbres et arbustes plantés sur l’exploitation ;

– des conditions d’élevage qui permettent aux animaux d’exprimer leurs comportements naturels. Les porcs fouillent naturellement le sol. C’est en fouissant qu’ils se nourrissent de racines, d’insectes, etc. La terre qu’ils ingèrent pendant le fouissement contribue à la santé de leur flore intestinale. »

Porcs élevés en plein air

Réduction des conflits

Les cochons ainsi élevés disposent de plus d’espace pour faire de l’exercice, jouer, courir, mais aussi pour pouvoir s’éviter en cas de conflit. De plus, l’accès à l’extérieur et l’aménagement des parcelles offrent plus de possibilités de stimulations et d’occasions pour les animaux de ressentir des émotions positives.

Et la manière de travailler de Carl Sheard – maintien des portées sans réallotement et maintien des groupes de truies – apporte également plus de stabilité sociale, ce qui permet de réduire voire d’éviter les conflits liés à l’établissement de la hiérarchie qu’on rencontre dans les conduites plus classiques.

Un mode d’élevage qui correspond aux attentes sociétales et qui lui permet de valoriser sa production, principalement par le biais du groupement d’éleveurs Bio Direct. L’éleveur regrette toutefois le fait que les porcs élevés en plein air soient peu différenciés ni mis en avant dans les étals de la distribution.

Des cochons « plus robustes et plus résistants »

Ce système comporte aussi son lot de contraintes : par exemple, pour éviter les contacts avec les sangliers et ainsi garantir la biosécurité de son élevage, Carl Sheard doit consacrer du temps supplémentaire à l’entretien des clôtures des différents parcs de sa ferme.

Lorsqu’on lui demande si l’élevage en plein air impose une vigilance particulière en matière de santé des animaux par rapport à l’élevage conventionnel en bâtiment, Carl Sheard est catégorique : « Les animaux élevés en plein air sont en meilleure santé, plus robustes et plus résistants. C’est la proximité et la densité des bâtiments qui augmentent le risque de transmission de virus et de maladies. C’est donc dans les bâtiments qu’une surveillance accrue est nécessaire. »

L’agroforesterie pour limiter l’impact du changement climatique

Selon lui, l’élevage en plein air est adapté à toutes les régions : « Tous les climats peuvent convenir s’il y a suffisamment d’ombrage, la présence d’eau et un sol fertile, assure l’éleveur. L’agroforesterie contribue à réunir ces conditions. »

Un ensemble de pratiques qui permettent également de protéger ses animaux des effets du changement climatique, notamment des vagues de chaleur, de plus en plus fréquentes et intenses. Carl Sheard a ainsi planté de nombreux arbres, des haies, des bosquets et a aménagé des baissières1. En complément, les truies ont accès à des zones où elles peuvent prendre des bains de boue.

« Les arbres et arbustes protègent les cochons du vent et du froid en hiver et leur donnent de l’ombre en été, explique l’éleveur. Je travaille actuellement avec l’Itab2 et la chambre d’agriculture dans le cadre du projet Fermadapt, en mesurant la différence entre la température dans les cabanes et celle mesurée en dessous des arbres. L’étude n’est pas terminée, mais d’après les travaux d’autres chercheurs, nous nous attendons à une baisse de 5 °C à l’ombre des arbres. »

(1) Également appelée « swale », la baissière est un ouvrage de terrassement qui permet de capter les eaux pluviales et de créer une butte de culture.

(2) Institut technique de l’agriculture biologique