Comment sont élevées les poulettes destinées aux élevages de poules pondeuses en France ?

Avant de devenir des poules pondeuses, les jeunes femelles – appelées poulettes – passent par un process industriel très éloigné des images de cartes postales. De leur éclosion dans les couvoirs à leur transfert en élevage de poulettes, puis durant leur croissance, leur vie se déroule dans un environnement entièrement artificiel, où les besoins fondamentaux des oiseaux sont souvent relégués au second plan, ce qui les expose à de nombreux stress et souffrances.

Poussins poules pondeuses
©Barillo_Image

La filière œufs française compte environ 53 millions de poules pondeuses. C’est une filière très structurée, constituée de trois principaux maillons : sélection, accouvage, élevage.

Les œufs destinés à fournir les futures poules pondeuses sont incubés artificiellement dans des couvoirs, des entreprises spécialisées dans la production de poussins destinés à devenir de futures poules pondeuses.

Des poussins mâles toujours tués malgré l’interdiction

Jusqu’à récemment, à la naissance, les poussins étaient triés selon leur sexe : les femelles étaient conservées, les mâles systématiquement éliminés car inutiles à la production d’œufs. Depuis le 1er janvier 2023, cette pratique est interdite en France. Pour les races de poules brunes : le sexe des embryons est désormais identifié dans l’œuf grâce à une technique d’ovosexage, et les œufs « mâles » détruits avant éclosion.

Mais une dérogation existe pour les poules à plumage blanc : la technique actuelle d’ovosexage ne permet pas d’identifier le sexe de leurs embryons. Résultat : plusieurs millions de poussins mâles continuent chaque année d’être tués après l’éclosion en France.

Dans les couvoirs, les œufs sont placés dans de grands incubateurs où température, humidité et CO₂ sont strictement contrôlés. Trois jours avant l’éclosion, ils sont transférés dans des éclosoirs. Les poussins naissent tous ensemble, dans des bacs, sans jamais voir une mère qui les aurait, en conditions naturelles, réchauffés, protégés et guidés dans leurs premiers apprentissages.

Une fois sortis de leur coquille, ils sont contrôlés et triés sur des tapis roulants. Les individus trop faibles, et les mâles non détectés, sont éliminés par gazage. Les femelles sont ensuite vaccinées et épointées, une mutilation réalisée dès leur premier jour.

L’épointage : une mutilation systématique

L’épointage consiste à supprimer la pointe du bec afin de limiter les conséquences du picage – un trouble du comportement qui consiste à piquer et arracher les plumes des congénères, qui peut évoluer en cannibalisme. La cause de ce trouble ? Des conditions de vie inadaptées : manque d’espace, absence de stimulations, stress, éclairage inadapté, présence de parasites…

En France, dans la filière poules pondeuses, l’épointage est réalisé par rayons infrarouges, une technique moins douloureuse que la lame chauffante, mais aux conséquences irréversibles. Le bec est un organe innervé, donc sensible, et c’est un outil essentiel de la poule pour explorer, s’alimenter, entretenir son plumage ; il lui sert également à interagir avec ses congénères. Le raccourcir, c’est altérer durablement sa sensibilité et son efficacité.

Pourtant, d’autres pays ont interdit cette mutilation depuis des décennies : la Norvège dès 1974, la Suède et la Finlande à la fin des années 1980. Des solutions existent pour prévenir le picage à la source : enrichissement du milieu, réduction des densités, aménagements adaptés, prévention du parasitisme, choix de souches moins sensibles au stress… En France, malgré les études disponibles sur le picage et sa prévention, l’épointage reste aujourd’hui la norme dans la filière, y compris en élevage biologique (à quelques exceptions près).

Un transport éprouvant dès les premières heures

Une fois vaccinés et épointés, les poussins sont placés dans des boîtes et transportés par camions vers les élevages de poulettes. Ce transfert doit être rapide généralement dans les 24 heures suivant leur éclosion, car les poussins ne sont pas nourris au couvoir : ils vivent sur leurs réserves vitellines, qui sont limitées.

Les transports sont régis par le Règlement européen 1/2005 relatif à la protection des animaux pendant le transport, mais aucune obligation n’existe pour fournir eau ou nourriture aux poussins si le trajet dure moins de 24 heures et s’ils sont âgés de moins de trois jours. Or, selon l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), une privation d’eau et de nourriture de plus de 48 heures après leur éclosion expose les poussins à faim et soif sévères.

En outre, les poussins sont très sensibles aux variations de température et leur zone de confort est étroite puisqu’elle se situe entre 30 et 35 °C, d’où la nécessité qu’ils soient transportés dans des camions bien équipés pour une régulation précise de la température.

Outre les conditions d’ambiance et la densité, qui constituent des facteurs de risque pour le bien-être des poussins, les vibrations durant le transport sont sources d’anxiété et de stress pour ces jeunes oiseaux très fragiles.

Pas de réglementation spécifique pour élever les poulettes

À leur arrivée dans l’élevage dit de poulettes, les poussins sont de nouveau manipulés pour le déchargement des boîtes. Deux systèmes coexistent : les élevages en cage et ceux où les poules sont en liberté dans les bâtiments. Dans les seconds, une partie seulement du bâtiment leur est accessible au départ, pour maîtriser la température et les aider à trouver eau et nourriture. L’installation de perchoirs et de structures surélevées se développe peu à peu afin de préparer les futures pondeuses à leurs conditions de vie en volière.

Les élevages en cage, eux, offrent un espace extrêmement restreint, sans possibilité d’exprimer leurs comportements naturels. Cette méthode reste pratiquée malgré ses effets délétères sur le bien-être animal.

Contrairement aux élevages de poules pondeuses, les élevages de poulettes ne sont soumis à aucune réglementation encadrant leur bien-être (hormis en bio). Ni densité maximale, ni obligation d’accès à des matériaux à picorer ou à des perchoirs n’existent.

Certains signes de qualité comme label Rouge ou Agriculture biologique imposent toutefois quelques exigences favorables au bien-être des poulettes.

Dans les élevages au sol, on compte souvent plus de 15 poulettes par m², et jusqu’à 30 dans ceux équipés de volières (de grandes structures métalliques constituées de plateformes superposées, équipées de mangeoires, d’abreuvoirs et de nids. Les poules peuvent circuler entre les étages et voler d’un module à l’autre). Les dernières semaines avant le transfert en atelier de ponte, la densité atteint même des niveaux supérieurs à ceux autorisés pour les poules pondeuses adultes alors que leur taille est comparable.

Pendant toute leur croissance, ces futures poules vivent sans mère. En conditions naturelles, celle-ci joue pourtant un rôle central : elle réchauffe, guide, protège, apprend à ses poussins à se nourrir et à interagir. Cet apprentissage aux côtés de la mère est impossible dans la filière œufs.

Les poulettes sont transférées dans les élevages de ponte entre 17-18 semaines d’âge. Elles sont dites « prêtes à pondre ». Ce changement d’environnement sollicite de nouveau leur capacité d’adaptation de manière extrême. Après l’épreuve du transport, dont les étapes du chargement et du déchargement sont également très éprouvantes, elles se retrouvent dans un environnement inconnu, ce qui génère à nouveau du stress.

Chaque œuf que nous consommons est le fruit de ce maillon méconnu de la filière. Derrière les images de poules picorant tranquillement dans l’herbe imprimées sur les boîtes d’œufs, il y a des millions de poussins éclos dans des couvoirs, mutilés, transportés, puis élevés dans des bâtiments où leurs besoins fondamentaux sont souvent ignorés. Les poulettes ne sont pas de simples « futures pondeuses  » : ce sont des animaux sensibles, capables de ressentir douleur, stress et attachement. Leur réalité mérite d’être connue pour ouvrir le débat sur les pratiques d’élevage et sur les alternatives possibles.

Welfarm souhaite que les poulettes soient protégées par une réglementation spécifique au même titre que les poules pondeuses.