Focus du mois d’août : Les animaux devraient pouvoir éprouver des émotions positives

Le 22 mars dernier, Welfarm annonçait entrer en campagne pour les animaux d’élevage aux côtés de sa fédération Eurogroup for Animals et des 69 autres ONG membres de celle-ci. Armée de ses 7 revendications clés, Welfarm dénonce ainsi les faiblesses de la législation, appelle à signer massivement sa pétition et réclame auprès de la Commission européenne une révision profonde des textes propres à la protection animale dans le cadre de la stratégieeuropéenne « De la Ferme à la Table ». Jusqu’au mois d’octobre prochain, Welfarm consacre à chacune de ses revendications un focus mensuel destiné à souligner les manques des textes actuels et plaider pour la révision des normes applicables (focus du mois d’avril à retrouver ici, du mois de mai à lire ici, du mois de juin à retrouver ici et celui du mois de juillet est disponible ici)

Ce mois-ci, Welfarm rappelle quelque chose de très simple : les animaux d’élevage méritent, comme tous les êtres vivants, de profiter de la vie, d’éprouver des émotions positives, en bref : de vivre dans des conditions conformes à leur bien-être.

Le législateur reconnait qu’ils sont des êtres sensibles. La préservation de leur bien-être serait un objectif à atteindre. Les textes restent pourtant des plus lacunaires en permettant que nombre de pratiques perdurent au détriment du bien-êtreanimal. Les animaux ne peuvent éprouver d’émotions positives quand ils sont claustrés, empêchés d’accéder à l’air libreet entassés dans des bâtiments. La claustration, les fortes densités, les conditions d’ambiance dégradées et le manque de stimulations engendrent une déviation des comportement (piquage, caudophagie, etc…) qui laissent bien peu de place aux émotions positives. La sélection génétique sur le seul critère des performances de production entraine des dérives sources de douleurs pour les animaux. On pense aux poulets à croissance rapide, dont les membres ne supportent pas le poids des muscles, ou à la sélection des veaux avec une hypertrophie musculaire (appelés culards) qui a pour conséquence une césarienne systématique pratiquée chez les vaches au moment de la mise-bas. Les animaux ne peuvent davantage éprouver d’émotions positives lorsqu’ils ont faimsoif, sont blessés ou souffrent de stress thermique au cours des transports.

La timidité du législateur de l’Union à l’égard des animaux, et plus particulièrement des animaux d’élevage, est historique. Les choses doivent cependant, et de toute urgence, changer de manière drastique.

Le bien-être animal : retour sur un enjeu historique

Le bien-être animal a désormais acquis ses lettres de noblesse dans les grands principes qui gouvernent la législation européenne, dans la mesure où les animaux sont reconnus comme des « êtres sensibles ». Les avancées en la matière restent toutefois faibles, montrant ainsi que l’animal d’élevage est toujours perçu, avant tout, comme un outil de production au service de l’homme.

Cette idée est loin d’être nouvelle et un bref rappel historique permet de s’en convaincre.

Il y a quelques siècles, les animaux étaient considérés comme de simples objets, dénués de sensibilité, d’intelligence et d’émotions. Peu avant le siècle des Lumières, le rationalisme de Descartes a permis à ses élèves, dont Malebranche, de développer la théorie de « l’animal-machine ». Sa réflexion sur ce qui différencie l’homme de l’animal le mène à comparer ce dernier à une machine dénuée d’intelligence, pour mieux en comprendre le fonctionnement.  Descartes écrivait ainsi, par exemple : « Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m’en étonne pas car cela même sert à prouver qu’elles agissent naturellement et par ressort, ainsi qu’une horloge »1.

La perception de l’homme et celle du législateur ont progressivement évolué sous l’influence de certains penseurs des Lumières qui ont rendu leur sensibilité aux animaux dans la pensée philosophique. Les philosophes anglo-saxons ont notamment pu développer des courants de pensée tels que l’utilitarisme et le déontologisme, questionnant l’utilisation de l’animal par l’homme, les droits et devoirs de chacun. En 1822, la première loi européenne portant sur la protection animale a été adoptée en Angleterre dans le but d’interdire certains actes de cruauté infligés aux animaux d’élevage. En France, la loi Grammont a, pour sa part, tenté en 1850 d’interdire les actes de cruauté commis en public sur les animaux.

Plus tard, la Communauté économique européenne (la « CEE » est l’ancêtre de l’Union européenne) a, à son tour, mis du temps à admettre que les animaux étaient des êtres vivants qui méritaient d’être protégés. Le Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la CEE l’assimilait ainsi à un « produit agricole » destiné à circuler librement au sein du marché intérieur européen. Ce n’est qu’à compter des années 1970 que la CEE a commencé à se préoccuper de ces questions, sous l’impulsion d’une recommandation du Conseil de l’Europe qui admettait que « la protection des animaux constitue une preuve d’humanité et un défi pour la civilisation et la culture européennes »2.

Les conventions se sont ensuite multipliées à l’échelle internationale pour protéger progressivement les animaux. La CEE, pour des raisons politiques, a dû en prendre son parti, en adoptant de manière timide une première directive en 19743 destinée à imposer dans certains cas l’étourdissement avant l’abattage des animaux d’élevage. L’animal n’était plus totalement assimilé à une machine mais l’idée restait la suivante : protéger les animaux serait à même de freiner la compétitivité européenne. Ne pouvant renoncer ni à la protection animale pour des raisons politiques, ni à la compétitivité pour des raisons économiques, la CEE a tenté d’allier les deux, en particulier à compter des années 1990. C’est à partir de cette période en effet que les textes européens applicables à l’élevage ont été adoptés.

Le bien-être animal aujourd’hui

Désormais, le Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE »), qui fait partie du Traité de Lisbonneadopté en 2007, impose en son article 13 que « l’Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles ». De son côté, le juge européen a érigé la préservation du bien-être animal en « objectif légitime d’intérêt général »4.

Toutefois, ce même article 13 du TFUE subordonne la prise en compte du bien-être animal aux « dispositions législatives ou administratives et […] usages des États membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux ». En d’autres termes et bien que les animaux aient enfin été reconnus comme des êtres doués de sensibilité, leur protection reste soumise à l’atteinte des autres objectifs de l’Union, dont le développement d’une « économie sociale de marché hautement compétitive »5.

Or, l’élevage est un enjeu économique stratégique au sein de l’Union européenne. En 2018, il représentait en effet 40% de l’activité agricole de l’Union. Elle comptait environ 87 millions de bovins, 148 millions de porcins, 98 millions dechèvres et moutons ainsi que 4,5 milliards de poulets, poules pondeuses et dindes. En tout, ce sont ainsi près de 5 milliards d’animaux qui sont élevés au sein de l’Union européenne, qui contribuent à la réalisation de 168 milliardsd’euros de chiffres d’affaires en moyenne par an et 4 millions d’emplois6.

Sans surprise donc, la directive générale sur les animaux d’élevage7, les directives sur la protection de certains animaux spécifiquement identifiés8, le règlement relatif au transport d’animaux vivants9 ou bien encore le règlement relatif à l’abattage10 protègent a minima les animaux et permettent de nombreuses pratiques néfastes à leur bien-être. La directive générale sur les animaux d’élevage impose certes de manière générale aux États de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les animaux soient élevés au vu de « leurs besoins physiologiques et éthologiques conformément à l’expérience acquise et aux connaissances scientifiques »11.

Dans le détail cependant, les pratiques qui sont autorisées ne sont en aucun cas à même de permettre aux animaux de vivre pleinement, dans des conditions conformes à leur bien-être. Par exemple, la directive relative aux poulets de chairpermet aux États d’élever environ 17 poulets/m² et de déroger à ce seuil jusqu’à 23 poulets/m² environ12. La directive relative à la protection des porcs autorise de même que des mutilations leur soient infligées (castration, coupe des queues, etc.). Encore, le règlement sur les transports d’animaux autorise les trajets supérieurs à huit heures en imposant seulement que certaines précautions minimales soient mises en place. Outre les textes eux-mêmes, c’est encore leur application qui est trop souvent discutable : à titre d’illustration, ce même règlement interdit par principe les transports d’animaux lorsque la température à l’intérieur de l’habitacle excède 30 °C. De nombreux convois sont cependant organisés chaque été et Welfarm se mobilise à nouveau cette année pour signaler ces transports grâce à son application Truck Alert.

Le bien-être animal de demain

Depuis trop longtemps donc, l’animal d’élevage subit de plein fouet les lacunes de la législation. Tout « être sensible » qu’il soit désormais, le législateur n’impose pas de recourir à des pratiques qui permettent tout simplement à l’animal d’éprouver des émotions positives et de vivre dans des conditions conformes à son bien-être.

En comparaison avec le XVIIème siècle où tout un chacun ne voyait en lui qu’une machine, les mentalités ont drastiquement évolué : 94% des citoyens européens estiment qu’il est important de protéger le bien-être des animaux d’élevage13. Les connaissances scientifiques ont, quant à elles, considérablement progressé.

C’est désormais au tour du législateur.

Dans sa communication du 20 mai 2020 relative à la stratégie « De la Ferme à la Table », la Commission européenne a annoncé qu’elle allait revoir la législation européenne sur la protection des animaux d’élevage.

>Agissons pour que ses propositions soient à la hauteur des enjeux.  Assurons-nous que la révision annoncée ne se limite pas à un exercice de style. 

>Interpellons la Commission : Signez et partagez notre pétition !

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1René Descartes, « Lettre au marquis de Newcastle – 23 novembre 1646 », in Discours de la méthode, in Œuvres et lettres, Gallimard, coll. « La Pléiade », p. 1254.
2 Ass. cons. du Conseil de l’Europe, Recommandation 287 (1961) du 22 sept. 1961 relative aux transports internationaux d’animaux. Comp. Résol. du Parlement européen, 12 déc. 2012.
3 Directive 74/577/CEE du Conseil, du 18 nov. 1974, relative à l’étourdissement des animaux avant leur abattage (abrogée).
4 V. en ce sens, not., CJCE, 17 janvier 2008, Viamex Agrar Handels GmbH et Zuchtvieh-Kontor GmbH [ZVK] c/ Hauptzollamt Hamburg-Jonas, aff. jtes C-37/06 et C-58/06, pt 22, Rec. 2008, I, p. 69, pt 22.  
5 Traité sur l’Union européenne (partie du Traité de Lisbonne), article 3.
6 Cour des comptes européenne, « Bien-être animal dans l’UE : réduire la fracture entre des objectifs ambitieux et la réalité de la mise en œuvre », rapport spécial n°31, 2018.
7 Directive 98/58/CE du 20 juillet 1998 concernant la protection des animaux dans les élevages, JOCE L221, 08.08.98, p. 23.
8 Directive 1999/74/CE du Conseil du 19 juillet 1999 établissant les normes minimales relatives à la protection des poules pondeuses, JOCE L203, 03.08.1999, p. 53 ; directive 2007/43/CE du Conseil du 28 juin 2007 fixant des règles minimales relatives à la protection des poulets destinés à la production de viande, JOCE L182, 12.07.2007, p. 19 ; directive 2008/120/CE du Conseil du 18 décembre 2008 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs, JOUE L47, 18.02.2009, p. 5 ; directive 2008/119/CE du Conseil du 18 décembre 2008 établissant les normes minimales relatives à la protection des veaux, JOUE L10, 15.01.2009, p. 7.
9 Règlement (CE) n°1/2005 du Conseil du 22 décembre 2004 relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes et modifiant les directives 64/432/CEE et 93/119/CE et le règlement (CE) n°1255/97, JOUE L3, 05.01.2005, p. 1.
10 Règlement (CE) n°1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, JOUE L303, 18.11.2009, p. 1.
11 Directive 98/58/CE, article 4.
12 Selon la directive 2007/43/CE, les densités maximales de poulets ne doivent pas dépasser, par principe, 33 kg/m² (soit, environ 17 poulets/m²). A titre dérogatoire cependant, ce seuil peut être augmenté jusqu’à 42 kg/m² (soit, environ 23 poulets/m²).
13 Eurobaromètre spécial 442 « Attitudes des Européens à l’égard du bien-être animal », novembre – décembre 2015.