Les œufs sexés arrivent ! À l’origine de cette prouesse, la société allemande Seleggt, dont la technologie pourrait mettre un terme au massacre de 50 millions de poussins mâles chaque année.
Un bras robotisé pointe un laser sur la coquille et y perce un trou de 0,3 mm de diamètre. Par cet orifice, une goutte de liquide allantoïde est aspirée hors de l’œuf grâce à une pipette. Pour connaître le sexe du futur poussin, il suffit d’ajouter à cet échantillon une goutte de réactif : si le liquide change de couleur, c’est que l’œuf contient une hormone, l’estrone sulfate. Il s’agit donc d’une femelle. Inutile de refermer le trou, la membrane se reconstituera d’elle-même en quelques heures. Tandis que les œufs mâles seront retirés du couvoir, les œufs femelles y retourneront jusqu’à éclosion, soit douze jours plus tard. L’opération n’aura eu aucune incidence sur le développement du poussin.
Mise au point par la société allemande Seleggt, cette technique détecte le sexe d’un poussin dès le 9e jour d’incubation. PouleHouse, start-up connue pour offrir une seconde vie aux poules pondeuses réformées, s’est donc rapprochée de Seleggt afin d’accueillir, dès le 17 avril, 1 000 poussins femelles sexés dans l’œuf. D’ici la rentrée, ces poussins devenus poulettes, pondront des œufs à leur tour. Vendus 1 euro l’unité par PouleHouse, ils seront les premiers œufs français produits sans avoir dû broyer ou gazer de poussins mâles à la naissance.
Qu’ils soient Bio, Label rouge ou conventionnels, tous les élevages de poules pondeuses français reposent sur la même aberration : à peine né, un poussin sur deux est systématiquement jeté dans une broyeuse ou gazé. Les mâles, inutiles à la filière poules pondeuses, sont considérés comme des déchets. En 2016, la société française Tronico s’était vu attribuer quelque 4,3 millions d’euros de financements publics, afin de développer une technique de sexage « in ovo ». Alors que Tronico promettait un prototype pour 2017, sa technique basée sur la spectrométrie Raman s’est avérée peu fiable. Tronico doit aujourd’hui réorienter ses recherches. Pendant ce temps, en Allemagne, la méthode Seleggt est déjà à l’œuvre : elle permet de sexer 80 000 œufs par semaine avec une fiabilité de 98 %.
Depuis novembre dernier, les œufs portant le label « Respeggt » sont en rayons dans les supermarchés Rewe et Penny. D’ici à 2020, Seleggt mettra sa technologie à disposition de tous les couvoirs qui le souhaitent. « Il n’y a aucune raison d’attendre que la technologie française soit prête, estime Lorene Jacquet, responsable du pôle campagne et plaidoyer à WELFARM. Les producteurs d’œufs savent qu’ils sont attendus par les consommateurs. Nous leur demandons de prendre position et d’exiger la mise en place de la technique de sexage Seleggt dans tous les couvoirs français. Le ministère de l’Agriculture doit lui aussi donner l’impulsion. Cette transition vers un nouveau modèle est incontournable, et elle devra s’accompagner d’une interdiction légale d’éliminer les poussins à l’éclosion, comme la Suisse est en train de le faire. »
Pour rappel, lors du vote de la loi Egalim en novembre dernier, les députés avaient rejeté l’amendement proposant d’interdire d’éliminer les poussins mâles. Le Gouvernement était seulement prié de remettre dans un délai de dix-huit mois un rapport évaluant la « capacité de la spectrométrie […] à proposer une alternative éthique, efficace et économiquement viable au broyage à vif des poussins, canetons et oisons pratiqué dans les couvoirs industriels ». Depuis, le ministère de l’Agriculture a assuré à Welfarm qu’il ne s’opposerait pas à ce que les couvoirs français aient recours à la technique allemande. L’arrêt du massacre des poussins ne dépend donc plus que de la volonté de la filière et des couvoirs.