Le Sénat et le ministre de l’Intérieur brillent par leur mépris du bien-être animal

Le couperet est tombé : désormais, le fait de filmer des maltraitances animales dans une exploitation agricole (élevages, abattoirs), sans l’autorisation du propriétaire, devrait être puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Le Parlement a en effet adopté récemment la proposition de loi « Sécurité globale ». Ce texte avait été en partie remanié par le Sénat. Le 16 mars dernier, celui-ci avait décidé d’insérer un amendement afin de sanctionner plus lourdement les intrusions dans les exploitations agricoles.

Pour l’heure, l’article 226-4 du Code pénal réprime jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende le fait de s’introduire au domicile d’autrui sans son autorisation. L’amendement du Sénat triple donc le tout, en augmentant ces peines à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Par la même occasion, il confère aux policiers municipaux et gardes champêtres le droit, à titre expérimental, de constater ces infractions, en particulier quand elles ont lieu dans des exploitations agricoles. Les policiers et gendarmes ne seront donc plus les seuls à disposer de cette prérogative.

En d’autres termes, le Sénat alourdit les sanctions, étend les modalités de contrôle pour s’assurer qu’aucune « infraction » n’échappe aux mailles du filet et cible les intrusions dans les élevages et abattoirs.

Les débats1 qui ont précédé l’adoption de ce texte sont édifiants : 

« Monsieur le ministre, il n’est pas acceptable que des gens puissent, en toute impunité, entrer dans des exploitations agricoles et placer des caméras. (…) Qui accepterait qu’on pose une caméra dans sa salle de bains pour vérifier que l’eau ne coule pas pendant que vous vous lavez les dents ? (…) Qui accepterait qu’on pose des caméras à son domicile, à son insu, pour vérifier qu’un animal domestique n’est pas maltraité ? Personne ! » (M. Laurent Duplomb, Sénateur de la Haute-Loire, porteur de l’amendement). « Je regrette presque le caractère modéré de cet amendement. » (M. François Bonhomme, Sénateur du Tarn-et-Garonne).

Et le ministre de l’Intérieur de pleinement soutenir le nouveau-né du Sénat : « Ce n’est pas un scoop pour les élus du Nord, j’aurais également voté cet amendement ». Pour M. Gérard Darmanin, le travail accompli convient en effet d’être salué : « cet amendement tend à créer, habilement, un nouveau délit ».

Comme tout un chacun, les propriétaires d’exploitations agricoles doivent être protégés contre les violences qui leur sont infligées et une réponse pénale adaptée doit pouvoir être mise en œuvre. 

Par son ampleur et son large champ d’application toutefois, ce texte laisse place à la censure et favorise l’arrêt des enquêtes. Les dangers qu’il présente sont d’autant plus forts qu’il s’inscrit dans la continuité de mesures du même ordre. On rappellera notamment qu’une convention co-signée par le ministère de l’Intérieur régit les compétences attribuées à la « Cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole » (la « cellule DEMETER ») depuis début 2019. Cette cellule, destinée à assurer « la sécurité du monde agricole », a notamment pour mission de prévenir et suivre les « actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques »2.

La proposition de loi « Sécurité Globale », comme la création de la cellule DEMETER avant elle, opère donc une confusion des genres entre d’une part, la protection pénale due à toutes les victimes de violences et d’autre part, l’exercice de la liberté d’expression, du droit de critique et le lancement d’alertes.

Comment révéler les souffrances que les animaux d’élevage subissent et les manquements à la réglementation si le législateur musèle progressivement les moyens offerts aux organisations de protection animale ? 

Bien sûr, la proposition de loi « sécurité globale » prévoit ces sanctions uniquement lorsque le propriétaire de l’exploitation n’a pas accepté de laisser entrer l’organisation qui en fait la demande. Mais l’auteur d’une pratique néfaste au bien-être de ces animaux consentira-t-il vraiment, demain, à ce que ses actes se traduisent en images ? Rappelons que la loi EGalim du 30 octobre 2018 permettait aux abattoirs qui le souhaitaient d’expérimenter la vidéosurveillance. Le succès est au rendez-vous : deux ans plus tard, seuls quatre abattoirs ont participé à cette expérimentation…

Cette proposition de loi  fait à ce jour l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel. Espérons que le « Conseil des Neuf Sages » fera effectivement preuve de sagesse…

En attendant, M. Laurent Duplomb posait donc la question suivante : « Qui accepterait qu’on pose des caméras à son domicile, à son insu, pour vérifier qu’un animal domestique n’est pas maltraité ? »

Répondons-lui : c’est très simple, Monsieur le Sénateur, il suffit de n’infliger aucune maltraitance.

 
1 Compte-rendu intégral des débats, Séance du 16 mars 2021.
2 Citations extraites de l’ « Edito » publié par le ministère de l’Intérieur le 13 décembre 2019, https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-ministres-de-l-Interieur/Archives-Christophe-Castaner/Dossiers-de-presse/Presentation-de-DEMETER-la-cellule-nationale-de-suivi-des-atteintes-au-monde-agricole.

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