Tourné caméra au poing, au plus près des animaux, le documentaire Cow sort en salle le 30 novembre. Il dessine le portrait de la vie de la vache laitière Luma dans une ferme du Royaume-Uni. Sans aucun commentaire ni artifice, Cow se veut une immersion dans le quotidien d’un élevage à l’échelle d’un individu. Le spectateur se prend d’empathie pour Luma, réduite, malgré la bienveillance des éleveurs, à un simple outil de production.
Luma, une machine à produire des veaux et du lait
La scène d’ouverture de Cow est une scène de vêlage. Au plus près de l’action, on assiste à la poignante séparation de la mère et de son petit peu de temps après la naissance. Leur détresse est palpable.
Dès son plus jeune âge, le veau femelle sera isolé pendant une certaine période et élevé dans un igloo. On le sent égaré, perdu. Mis au contact d’autres veaux, il veut téter, il cherche encore sa mère. Il sera très vite ébourgeonné, c’est-à-dire que l’on va brûler les bourgeons avant que ses cornes n’apparaissent. Si l’animal ne semble pas souffrir après avoir reçu une injection, le spectateur reste témoin d’une scène de mutilation.
Pour Luma, la vie continue loin de son petit, elle se rend à la traite puis elle est de nouveau inséminée dès que cela est physiquement possible. Sa sixième gestation. Au fur et à mesure, Luma est de plus en plus protectrice de ses veaux. « Ne te mets pas entre la vache et le veau, la dernière fois, elle m’a foutu dehors », met ainsi en garde un des éleveurs. Ce qui n’empêchera pas une nouvelle séparation.
À la fin du documentaire, Luma apparaît usée, elle marche avec difficulté. Ses énormes mamelles tombent si bas que pour pouvoir la traire, les éleveurs doivent installer des cales sous ses sabots pour la surélever. Elle donne le sentiment de porter tout le poids de son existence. Elle sera finalement euthanasiée, mise au rebut parce que devenue inutile.
Une irrésistible empathie pour Luma
Pour le spectateur, malgré quelques scènes de joie comme lorsque Luma s’ébroue dans les prés, impossible de ne pas ressentir de la pitié devant le destin de cette vache. Elle n’est pas maltraitée, certes, mais elle n’est pas véritablement considérée comme un individu à part entière, sensible et ressentant des émotions, avec ses besoins et comportements propres. Elle n’est qu’une machine à produire sur pattes, une machine biologique en quelque sorte.
Cet état de fait contraste avec ce que vit le spectateur. La caméra nous plonge en permanence dans le regard de Luma. Nous l’observons mais elle aussi nous regarde. Ses yeux semblent nous crier : j’existe, je suis, j’éprouve des sentiments.
Loin de l’image d’Épinal d’un élevage
Pénombre, sol en béton, portes métalliques qui claquent, barrières, saleté, humidité, machines à traire, machines pour distribuer de la nourriture, bruit des sabots qui glissent sur le ciment, tuyaux qui aspirent le lait tel un aspirateur…
Le documentaire Cow donne à voir une réalité bien souvent ignorée du grand public. Non, les vaches n’ont pas une vie idyllique à gambader toute l’année dans les prés ou à se vautrer dans de la paille bien sèche avec une fleur sur l’oreille.
Elles passent une grande partie de l’année en bâtiment, dans un univers froid et métallique. Ce qui frappe dans Cow, c’est l’organisation à la chaîne de la production. Une des images fortes du documentaire est le moment de la traite. Alignées les unes à côtés des autres, entravées par des barres de fer, des tuyaux accrochés à leurs mamelles, les vaches ne sont plus que de simples outils productifs.
Une remise en cause de la philosophie générale de l’élevage
Le parti pris de la réalisatrice est de filmer du point de vue de l’animal. Les humains sont relégués au second plan. Les éleveurs et ouvriers agricoles traitent les animaux avec douceur, leur donnent des noms, les appellent « mes jolies ».
Cette bienveillance apparaît cependant superficielle. Elle s’efface très vite devant l’utilitarisme économique. La vache est un instrument, un avoir financier, et non un individu à respecter dans sa singularité. À chaque vêlage, les humains se réjouissent quand il s’agit d’une femelle car elle pourra produire du lait prochainement. Au contraire, les veaux mâles n’ont que peu de valeur, leur viande étant peu consommée en Grande-Bretagne.
Peu après une mise-bas, le vétérinaire inspectant Luma se félicite que « son utérus se ferme bien ». Son souci n’est pas le bien-être de l’animal. Non, sa préoccupation est de pouvoir rapidement « relancer le cycle » d’insémination.
Cow est dans l’ensemble assez représentatif de ce qui se pratique en France dans un élevage laitier conventionnel. Les animaux n’y sont pas maltraités. Mais leur bien-être est-il réellement pris en compte ? Welfarm défend des systèmes d’élevage qui partent enfin des besoins de l’animal, non pas des besoins des humains. C’est donc toute une philosophie qui est à remettre en cause.
Cow d’Andrea Arnold, 1h34
En salle le 30 novembre 2022