Treize jours sous un soleil de plomb. Treize jours enfermés dans un camion bondé. Treize jours à patauger dans les excréments, abandonnés en bord de route comme de vulgaires marchandises… Telle est la situation dramatique dans laquelle les enquêteurs de l’ONG Animal Welfare Foundation ont découvert le 21 juillet dernier, un camion de bovins à la frontière bulgaro-turque, point névralgique des exportations d’animaux vivants hors de l’Union européenne. Parmi les 57 vaches qui s’y trouvent, bon nombre sont françaises.
Leur périple infernal commence en mai dernier, alors que les vaches quittent l’hexagone en camion pour la Tchéquie. Puis, le 18 juillet, l’exportateur Bohemian Trading Import-Export les expédie vers la Turquie, mais après trois jours de route, les autorités turques bloquent le camion à la frontière : leurs certificats sanitaires concernant la fièvre catarrhale ovine [1] ne sont plus valables… Et pour cause, les autorités françaises les ont émis trois mois plus tôt ! Face à cette aberration, et alors que l’article 23 du règlement (CE) n°1/2005 sur les transports stipule qu’ils auraient dû être déchargés ou renvoyés à leur point de départ, ces animaux passeront trois jours sans eau et sans nourriture, enfermés dans le camion. Finalement, sous la pression des ONG, les autorités bulgares proposent leur euthanasie, mais l’acheteur turc s’y oppose. Après plusieurs jours de négociations, alors même que l’importateur avait fini par accepter l’abattage des animaux par les autorités bulgares, le Ministère de l’Agriculture Turque émet une autorisation exceptionnelle d’entrée sur le territoire afin que les animaux soient abattus à quelques kilomètres de la frontière quelques jours plus tard. Après dix jours passés dans le camion immobilisé, amaigris et déshydratés, ils finiront leur périple égorgés sans étourdissement début août. Entre la date de leur chargement et le jour de leur mise à mort, ces pauvres bovins auront donc passé près de 15 jours enfermés dans le camion les transportant…
LA FRANCE ET LA COMMISSION EUROPEENNE FERMENT LES YEUX
« Ce qui se passe actuellement à la frontière turque est une parodie, s’insurge Reineke Hameleers, directrice d’Eurogroup for Animals [2]. Les pauvres bovins souffrent à cause des tergiversations des fonctionnaires qui ne veulent ou ne peuvent pas appliquer la loi. Le profit prend le pas sur l’éthique. Quel meilleur exemple pourrait-il y avoir de l’échec abject de la loi actuelle sur le transport ? ». Cette situation dramatique est hélas représentative du calvaire enduré par les 3 millions de bovins et d’ovins exportés chaque année d’Europe vers les pays tiers. À elle seule, la France en a exporté 116 681 en 2016, principalement vers l’Algérie, le Liban, la Turquie, la Libye, le Maroc et la Tunisie.
Depuis plusieurs années, les ONG alertent la Commission européenne et les États membres, comme la France, sur la situation dramatique des animaux lors des transports. Entre 2010 et 2017 [3], 70% des camions inspectés à la frontière Bulgaro-Turque violaient le règlement (CE) 1/2005 : des animaux suffoquant sous 44°C, contraints de manger leurs excréments et de boire leur urine, des veaux et agneaux nés durant le transport, puis morts piétinés. En 2016, la Fédération vétérinaire européenne dénonçait « les graves déficiences subsistant lors de l’exportation des bovins » et appelait à « décourager autant que possible les transports longues distances » et à « remplacer le transport d’animaux vivants par le transport des carcasses ». En septembre dernier, 27 associations européennes, dont WELFARM, remettaient à la Commission européenne une pétition d’un million de signatures contre le long transport d’animaux vivants. Pourtant réclamée par 229 députés européens (dont 21 Français), la création d’une commission d’enquête sur le transport des animaux au sein de l’Europe et vers les pays tiers a été rejetée en mars dernier.
Pendant ce temps, l’Europe doublait ses exportations d’animaux vivants [4], violant ainsi l’article 13 du TFUE[5] exigeant de tenir compte du bien-être des animaux lors de la formulation et de la mise en œuvre de la politique agricole européenne. En France, les filières ont affiché leur volonté de consolider les exportations, notamment d’animaux vivants dans leurs plans remis au gouvernement à l’issue des États généraux de l’alimentation.
LE TRANSPORT DES CARCASSES DOIT REMPLACER CELUI DES ANIMAUX VIVANTS
WELFARM rappelle au Gouvernement que la responsabilité de la France ne s’arrête pas à ses frontières : en 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la législation européenne concernant le bien-être des animaux durant le transport s’appliquait jusqu’à destination, même en dehors du sol européen.
Considérant que la France ne devrait pas exporter d’animaux vivants vers des pays qui ne peuvent garantir le respect des normes européennes sur le transport et l’abattage, WELFARM demande :
- l’interdiction d’exporter des animaux vivants hors de l’UE. Le commerce des carcasses doit remplacer celui des animaux.
- la limitation à 8h de la durée de transport pour les mammifères et à 4h pour les volailles, ainsi que l’application stricte du Règlement 1/2005 sur les conditions de transport.
D’après nos informations, la France aurait autorisé le départ, malgré la canicule, de plusieurs camions de bovins à destination de la Turquie fin juillet. Des camions transportant des vaches françaises mais transitant par d’autres pays européens, se seraient trouvés dans la même situation au cours de l’été.
WELFARM a alerté le ministère de l’Agriculture, l’Ambassade de France en Bulgarie ainsi que les autorités bulgares afin que des mesures soient prises au plus vite en cas de blocages de camions transportant des animaux vivants à la frontière turque. Le sujet des transports d’animaux fait partie des discussions actuellement en cours auprès du Ministère de l’Agriculture et WELFARM espère que la forte mobilisation du public concernant cette situation dramatique recevra un écho favorable auprès des décideurs politiques.
Les transports d’animaux vivants en chiffres :
- La France est le 1er pays exportateur de bovins vivants au sein de l’UE. En 2015, elle était le 1erexportateur de bovins hors de l’UE.
- 200 000 bovins devraient être exportés vers la Turquie chaque année.
- Entre 2013 et 2016, 9,8 millions d’ovins et de bovins ont traversé la méditerranée vers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.
- La nouvelle loi sur l’agriculture et l’alimentation ne contient aucune disposition pour réduire la durée des transports des animaux exportés hors de l’UE.
- Le gouvernement français soutient l’exportation d’animaux vivants de manière proactive et met régulièrement en place des aides favorisant l’export.
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[1] En novembre dernier, la Turquie a réouvert son marché aux bovins français. Elle levait ainsi un embargo instauré depuis la détection en France, en 2015, du sérotype 8 du virus de la fièvre catarrhale ovine (FCO), maladie virale, transmise par des moucherons. [2] Fédération d’associations européennes de défense des animaux à laquelle appartient Welfarm [3] Enquête menée par TSB, AWF et Eyes on Animals [4] Entre 2014 et 2016 [5] TFUE : traité sur le fonctionnement de l’Union européenne