Après une première victoire en 2018, qui avait vu CEVA Santé Animal France un laboratoire pharmaceutique vétérinaire mondial implanté dans 42 pays cesser ses approvisionnements en hormone eCG de juments gestantes en provenance d’Amérique du Sud, Welfarm et 16 autres ONG de défense de la cause animale poursuivent le combat contre cette pratique barbare, cette fois en Islande.
Qu’est-ce que l’hormone eCG ?
La gonadotrophine chorionique équine (couramment abrégée en eCG, de l’anglais equine chorionic gonadotropin, ou encore appelée PMSG pour Pregnant Mare Serum Gonadotropin) est une hormone de fertilité que les juments produisent naturellement lors de leur gestation. En France et dans l’Union européenne, les éleveurs ont recours à cette hormone. L’eCG est notamment utilisée en élevages porcins, ovins, bovins, caprins etc., dans le but de déclencher et/ou synchroniser la période d’ovulation des femelles. Cela permet de faciliter l’organisation de la production et le travail des éleveurs en regroupant les inséminations et les naissances, mais aussi de disposer d’une production tout au long de l’année et en quantité importante aux périodes où la demande est forte, même lorsque les animaux ont une reproduction naturellement saisonnière, comme les chèvres.
La situation actuelle en Islande
En 2019, puis en septembre 2021, l’ONG Animal Welfare Foundation | Tierschutzbund Zürich (AWF|TSB) a découvert 40 fermes à sang en Islande, mais leur nombre sur l’île est en réalité supérieur à 100 et elles concernent environ 5 000 juments.
Les enquêtes jettent une lumière crue sur les terribles conditions d’exploitation des juments. Allaitantes en plus d’être gestantes, les juments et leurs poulains sont emmenés en dehors des pâtures et sont ensuite séparés. À grand renfort de coups de bâton, les juments sont ensuite placées dans des boxes de contention pour être saignées. Les boxes sont constitués de planches de bois vétustes ou de métal, où les juments peuvent se coincer les pattes et se blesser.
Dans ces boxes, la tête des juments est immobilisée à la verticale par une corde. Ce dispositif est particulièrement dangereux : outre le caractère stressant de ce type de manipulation et de contention pour l’animal, celui-ci peut se blesser à la nuque en tentant de s’échapper. La saignée commence ensuite : une canule d’un demi-centimètre de diamètre est insérée dans la veine jugulaire et cinq litres de sang sont prélevés pendant plusieurs minutes. Ces prélèvements sont réalisés sur une période de deux à trois mois par an, à raison d’une fois par semaine. Chaque saignée représente environ 15% du volume total de sang d’une jument, qui n’a pas le temps de renouveler son stock entre deux opérations.
Welfarm et les ONG intentent des poursuites judiciaires pour dénoncer la maltraitance des juments
L’Islande est membre de l’Association européenne de libre-échange (AELE, EFTA en anglais) ꟷ aux côtés de la Norvège et du Liechtenstein ꟷ et est donc intégrée à l’Espace économique européen (EEE), une union économique entre l’Union européenne et l’AELE qui regroupe 30 Etats. À ce titre, le pays nordique est contraint de respecter la législation européenne même s’il ne fait pas partie de l’UE. C’est donc en activant le levier juridique que les défenseurs de la cause animale entendent mener leur combat.
AWF|TSB a saisi le 28 mars 2022 l’Autorité de surveillance de l’AELE qui est chargée de veiller au respect par la Norvège, le Lichtenstein et l’Islande de leurs obligations dans le cadre de l’accord sur l’EEE. Si cette Autorité confirme l’infraction alléguée, elle sera en mesure d’exiger qu’il soit mis fin à la production d’hormone eCG, en saisissant à son tour le cas échéant la Cour AELE.
Welfarm et 15 autres ONG, dont notre fédération européenne Eurogroup for Animals, se sont jointes à ce recours. La plainte d’AWF/TSB est dirigée contre l’Islande et son autorité vétérinaire MAST qui sont accusées de ne pas s’être conformées au droit de l’EEE.
Non-respect de la directive européenne sur l’expérimentation animale
En effet, l’utilisation d’animaux pour la production de médicaments et d’autres substances est couverte par la directive européenne 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques1, une directive qui s’impose à l’Islande en raison de son appartenance à l’EEE.
Au niveau international, les procédures utilisant des animaux pour la fabrication de médicaments ꟷ notamment par voie de prélèvements sanguins ꟷ sont classées comme des expériences sur les animaux et les animaux utilisés sont protégés par la législation et les directives afférentes à ces procédures2.
En son article 3, la directive 2010/63/UE entend par « procédure » « toute utilisation […] d’un animal à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques […] susceptible de causer à cet animal une douleur, une souffrance, une angoisse ou des dommages durables équivalents ou supérieurs à ceux causés par l’introduction d’une aiguille conformément aux bonnes pratiques vétérinaires ». Il apparaît donc évident que la directive 2010/63/UE s’applique à l’extraction de sang aux fins de production de l’hormone eCG.
Mais surtout, cette directive est basée sur le principe des 3R : remplacement, réduction et raffinement. Son article 4 prévoit que « les États membres veillent, dans toute la mesure du possible, à ce que soit utilisée, au lieu d’une procédure, une méthode ou une stratégie d’expérimentation scientifiquement satisfaisante, n’impliquant pas l’utilisation d’animaux vivants ».
Des alternatives existent pour mettre un terme au martyre des juments
Or, dans le cas de l’hormone eCG, il existe des alternatives disponibles pour les éleveurs, notamment des hormones synthétiques. L’induction et la synchronisation des cycles de chaleurs chez les animaux d’élevage est également possible avec des méthodes sans hormone, appelées mesures zootechniques, Par exemple, « l’effet mâle » consiste à introduire des mâles dans l’environnement des femelles afin de stimuler l’activité ovarienne de celles-ci.
Mais la litanie du non-respect des dispositions de la directive 2010/63/UE par l’Islande ne s’arrête pas aux articles 3 et 4. On pourrait citer, entre autres, l’article 13 sur le « choix des méthodes » : « les États membres veillent à ce qu’une procédure ne soit pas menée si la législation de l’Union reconnaît une autre méthode ou stratégie d’expérimentation n’impliquant pas l’utilisation d’un animal vivant pour obtenir le résultat recherché ». Ou encore l’article 20 portant sur « l’agrément des éleveurs, des fournisseurs et des utilisateurs » : « L’agrément n’est accordé que si l’éleveur, le fournisseur ou l’utilisateur, ainsi que son établissement, satisfait aux exigences de la présente directive. »
Au-delà de l’évidente légitimité morale de l’action de Welfarm et des autres ONG pour mettre un terme aux souffrances infligées aux juments islandaises et à leurs poulains, la saisine de l’Autorité de surveillance de l’AELE apparaît de surcroît parfaitement fondée d’un point de vue juridique.
Pour Welfarm, le commerce des fermes à sang doit cesser
Ces nouvelles enquêtes d’AWF|TSB en Islande, après celles en Amérique du Sud en 2018, ne peuvent mener qu’à une seule conclusion : la production d’hormone eCG est une pratique totalement incompatible avec le bien-être animal et entraîne de terribles souffrances pour les juments, quel que soit le pays où elle est organisée. Par conséquent, Welfarm exige que soient interdites sans délai les importations et la production d’hormone eCG au sein de l’Union européenne.
Bien que des produits alternatifs synthétiques soient déjà sur le marché européen, Welfarm s’oppose au recours systématique à des hormones de fertilité en élevage. L’ONG en appelle aux pouvoirs publics afin qu’ils financent des formations à destination des éleveurs et vétérinaires pour qu’ils puissent mettre en œuvre des mesures zootechniques qui permettent de mettre fin à l’utilisation de l’hormone eCG.
2-« Sur la question spécifique de la production de sang, la détention d’animaux pour la production de produits tels que les tissus et les sérums à des fins de recherche au sein de l’UE est couverte par la directive 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques.» (Commissaire à la Santé et à la Sécurité alimentaire Vytenis Povilas Andriukaitis, correspondance avec l’Eurogroupe pour les animaux, 2015)
– « La DG ENV a confirmé que lorsque des animaux sont utilisés pour la production de tissus, de sérums, etc., leur utilisation est entièrement couverte par notre directive (2010/63/UE). » (Commission européenne, correspondance avec Süddeutsche Zeitung, 2015)