Filière porcine française : un modèle néfaste pour le bien-être animal et coûteux pour la société

Dans une enquête publiée le 3 octobre 2025, la Fondation pour la nature et l’homme s’est intéressée au coût social, sanitaire et environnemental de la filière porcine française. Une facture estimée à 2,8 milliards d’euros par an pour le contribuable français, entre soutien économique à la filière et prise en charge des impacts environnementaux et sanitaires liés à la production de viande de porc et à la consommation de charcuterie. Une facture salée pour la collectivité, liée à un modèle d’élevage hyper-intensif à l’origine de grandes souffrances pour les animaux.

Elevage intensif de porcs
©Dusan Petcovic

2,8 milliards d’euros par an. C’est, selon une enquête publiée le 3 octobre 2025 par la Fondation pour la nature et l’homme (FNH), le coût sociétal de la filière porcine. 2 800 millions d’euros supportés par le contribuable, qu’il soit ou non consommateur de viande et charcuteries à base de porc.

Des coûts sociétaux importants

Comment expliquer un tel chiffre ? D’après l’étude de FNH, réalisée avec l’appui technique du Basic (Bureau d’analyse sociétale d’intérêt collectif), les frais engagés par l’État sont répartis sur trois postes :

1. Les dépenses de santé de la Sécurité sociale liées à la surconsommation de charcuterie, pour 1,9 milliard d’euros. 63 % des Français ont une consommation de charcuterie supérieure aux quantités maximales recommandées, ce qui constitue un facteur de risque de développer certaines pathologies comme le diabète, le cancer colorectal, une insuffisance rénale ou encore des maladies cardiovasculaires.

2. La prise en charge des impacts environnementaux des pollutions émises par la filière porcine, pour 162 millions d’euros. Les coûts liés à la pollution de l’air atteignent 138 millions d’euros, dont 11 millions d’euros liés à la prise en charge du traitement des maladies respiratoires provoquées par les polluants issus de l’élevage porcin (ammoniac et particules fines) ; et 127 millions d’euros de dépenses de surveillance et de prévention, notamment le financement du dispositif national de suivi de la qualité de l’air.

Les coûts liés à la pollution de l’eau représentent 24,6 millions d’euros, dont 22 millions d’euros pour la gestion des nitrates, qui proviennent en grande partie des effluents d’élevage qui s’infiltrent dans les rivières et les nappes phréatiques ; et 2,6 millions d’euros pour le Plan de lutte contre les algues vertes qui finance des actions de prévention et de nettoyage pour limiter le développement de ces organismes, favorisé par les excès d’azote agricole.

3. Les soutiens financiers à la filière porcine, pour 823 millions d’euros, dont 429 millions d’euros de subventions directes, notamment des aides à l’hectare pour les agriculteurs ; 247 millions d’euros d’exonérations de cotisations sociales, surtout dans l’industrie agroalimentaire (abattage, découpe, transformation) ; et 147 millions d’euros d’exonérations fiscales, principalement pour l’aval de la filière (industrie agroalimentaire et restauration).

Une filière hyper concentrée

Autrefois élevage d’appoint pour valoriser les coproduits agricoles dans des fermes diversifiées réparties sur tout le territoire, l’élevage porcin français a commencé à s’industrialiser dans les années 1960, sous l’impulsion des autorités. L’objectif était de réduire les importations croissantes de charcuterie, de trouver des débouchés aux céréales dont les rendements augmentaient, et de s’intégrer dans le marché commun qui se mettait en place à cette période.

La France a ainsi pu résorber l’écart entre la consommation nationale de porc et sa production porcine au milieu des années 1990, au prix d’un triple processus d’intensification, de concentration et de spécialisation des élevages, des unités de transformation et des entreprises de distribution.

Un mouvement de concentration particulièrement marqué du côté des exploitations d’élevage, puisque leur nombre a baissé de 98 % entre 1970 et 2020. Une chute vertigineuse, alors que, sur la même période, le nombre de cochons élevé a augmenté pour atteindre 13 millions d’animaux. On est ainsi passé de 597 000 à 13 000 exploitations produisant du porc, et de 19 à 1 000 cochons par ferme en cinquante ans !

Spécialisation et intensification

Cinquante fois plus d’animaux par exploitation, donc, répartis dans des élevages plus grands et majoritairement implantés dans le Grand Ouest, puisque 73,6 % de la viande porcine française est produite dans ce bassin de production, et 57 % pour la seule Bretagne, première région productrice française.

Des élevages plus grands qui se sont accompagnés d’une intensification des pratiques. Les porcs ont été concentrés dans de grands bâtiments fermés et l’élevage sur béton et sans accès à l’extérieur s’est généralisé.

L’utilisation d’antibiotiques a explosé afin notamment de pallier les risques sanitaires provoqués par la forte densité des élevages. La sélection génétique s’est développée, ce qui a permis d’augmenter le nombre de porcelets par portée, de raccourcir la période d’engraissement, et d’augmenter la quantité de viande produite par animal.

Un modèle industriel, incompatible avec le bien-être animal

L’étude souligne que l’industrialisation de l’élevage porcin a profondément transformé la relation aux animaux. Comme les animaux sont beaucoup plus nombreux dans les exploitations, le temps accordé à chacun d’entre eux par les éleveurs a été fortement réduit, ce qui a conduit à les considérer comme de simples outils de production.

Dans ces systèmes intensifs, les animaux subissent quotidiennement stress et souffrances :

95 % des porcs sont élevés sur du béton, sans litière, souvent sans lumière naturelle, avec une exposition permanente aux émanations d’ammoniac ;

– ces animaux sont élevés à de très fortes densités, avec moins de 0,7 m2 par porc adulte, ce qui favorise les conflits et empêche le repos simultané de tous les animaux ;

l’absence d’enrichissements du milieu, comme la présence paille par exemple, favorise l’ennui et ne permet pas aux porcs d’exprimer leurs comportements naturels ;

– environ 90 % des truies allaitantes sont enfermées dans des cages de maternités, et 85 % le sont également durant la gestation. Impossible pour ces animaux de se retourner, de marcher ou de construire un nid dans ces conditions, ce qui est source de frustration, de stress et d’inconfort prolongé.

À ces conditions de détention inadaptées s’ajoutent des mutilations qui ont pour but « d’adapter » les animaux aux pratiques d’élevage, plutôt que d’adapter les élevages aux besoins des porcs.

La caudectomie (coupe de la queue) et le meulage des dents sont pratiqués afin de limiter les lésions consécutives aux morsures provoquées par un environnement stressant et la promiscuité entre les animaux. Ces mutilations sont pourtant interdites en routine par la législation européenne.

Selon la FNH « après plusieurs décennies d’intensification des pratiques, les marges de progression de ce modèle en matière de bien-être animal sont devenues faibles du fait des contraintes économiques et génétiques structurelles qui font désormais partie intégrante du modèle ».

Un autre modèle est possible…

Les souffrances subies par les porcs dans les élevages intensifs ne sont pas une fatalité. La majorité des citoyens, des organisations de protection animale et de protection de l’environnement et certaines organisations paysannes soutiennent l’idée d’une restructuration de toute la filière porcine afin de se diriger vers un modèle agroécologique.

En conclusion de son étude, la FNH propose deux trajectoires alternatives et agroécologiques pour sortir de l’élevage intensif, qui concilient durabilité sociale et environnementale, qui passent par une baisse nécessaire de la production et de la consommation de viande de porc. Une transition qui implique « une montée en gamme des produits et en particulier un développement du mode de production biologique », selon l’étude.

… à condition de changer de politique

Malheureusement, les choix politiques récents vont à contresens de cette nécessaire transition vers un modèle plus durable et respectueux du bien-être des animaux.

Promulguée le 11 août 2025, la loi visant à lever les contraintes du métier d’agriculteur, dite « loi Duplomb », marque un recul historique en matière de protection du bien-être animal. Le texte facilite notamment la construction et l’agrandissement d’élevages intensifs en augmentant le nombre d’animaux à partir duquel une autorisation environnementale est nécessaire pour les exploitations porcines et avicoles sous régime des installations classées pour l’environnement (ICPE).

Auparavant, pour qu’elle soit soumise à autorisation préalable, une exploitation d’élevage de porcs devait compter au minimum 2 000 animaux. Avec la loi Duplomb, ce seuil est rehaussé à 3 000 animaux, et les exploitations plus petites pourront se contenter d’un simple enregistrement. Pour les truies reproductrices, le seuil passera de 750 à 900 animaux.

La loi Duplomb prévoit également, dans le cadre d’une demande d’autorisation, le remplacement des réunions publiques d’information par une simple permanence du commissaire enquêteur en mairie. En outre, les réponses aux observations du public ne seront plus obligatoires.

Le législateur a ainsi préféré donner satisfaction à des interprofessions et syndicats défendant l’élevage intensif au lieu de répondre aux demandes sociétales. 

Welfarm défend un modèle d’élevage durable qui respecte les animaux pour leur valeur intrinsèque, et s’oppose au modèle industriel qui considère les animaux comme de simples outils de production. Nous militons pour un modèle de polyculture-élevage à l’échelle des territoires, avec un accès au plein air pour tous les animaux.

Nous réclamons donc l’abrogation pure et simple de la loi Duplomb : faciliter l’agrandissement d’élevages en concentrant le nombre d’animaux sur un même site va totalement à l’encontre des attentes des citoyens et des objectifs de Welfarm.