La grippe aviaire est arrivée dans les Hauts de France fin novembre 2021, et s’étend depuis vers le Sud-Ouest, une trentaine de foyers ayant déjà été détectés dans cette région. Ainsi, depuis plusieurs mois, les mesures de protection des troupeaux de volailles impliquent de claustrer les oiseaux dans les bâtiments. Cette décision des autorités laisse craindre une dégradation du bien-être des animaux. En effet, les bâtiments des élevages plein air ne sont pas conçus pour y détenir des volailles en claustration permanente. En outre, au-delà des mesures d’urgence, il conviendrait de s’attaquer aux problèmes de fond : la concentration des sites d’élevage ou de transit des volailles domestiques (accouveurs, éleveurs, abatteurs), surtout lorsqu’ils sont situés sous un couloir de migration des espèces sauvages, les fréquents transports des volailles d’une région à une autre et entre les acteurs d’une même région, ou encore le nombre élevé d’animaux sur un même site.
Depuis plusieurs années, les épisodes de grippe aviaire se sont multipliés en France, affectant particulièrement les oiseaux détenus dans les élevages du Sud-Ouest. Les protocoles d’action en cas d’émergence d’un foyer de contamination se sont affinés au cours de ces dernières années. Ils visent à protéger les animaux à proximité des zones infectées et à prévenir la diffusion du virus. Si la réactivité des services de l’Etat lors de l’identification d’un foyer de grippe aviaire n’est pas à remettre en cause, certaines des mesures préventives rendues obligatoires interrogent : le remède sera-t-il pire que le mal ?
En effet, parmi les mesures de biosécurité imposées pour les élevages en plein air figure la claustration des volailles dans les bâtiments. Pour certaines productions de taille modeste ou en circuit autarciques, et seulement à la belle saison pour les productions sous signes de qualité (dont les élevages biologiques), la taille des parcours est réduite et la mise en place de grillage autour de ces parcours est rendue obligatoire. Quelle que ce soit la situation, l’objectif est de garder les volailles éloignées de la faune sauvage.
Les espèces sauvages sont en effet considérées, par les autorités et les professionnels, comme les principaux agents de transmission de la maladie. Or, si le risque zéro n’existe pas, les analyses de l’Anses lors de la crise sanitaire de 2017 (sur le virus H5N8) ont montré que « la faune sauvage commensale des élevages ne jouerait pas un rôle de vecteur actif dans l’entretien et la diffusion virale [de 2017] » . Selon les scientifiques, la faune sauvage qui vit à proximité des exploitations servirait plutôt de sentinelle que de réservoir épidémiologique. Il est donc légitime de se demander quelle logique suit la décision gouvernementale en imposant l’enfermement des volailles dans les bâtiments ou le renforcement des clôtures, l’impact financier de cette dernière mesure n’étant pas négligeable.
Les dernières crises sanitaires en lien avec la grippe aviaire restent une réalité qui a conduit à l’abattage préventif de millions d’oiseaux. Toutefois, les conclusions des experts de l’Anses sont claires à ce sujet : en 2017, « le maintien de l’épizootie dans le Sud-Ouest, [est resté] essentiellement lié à la diffusion des virus par les activités humaines associées à la filière palmipèdes gras. »1. En 2020, les conclusions de l’Anses étaient de même nature : si le risque d’introduction des virus par la faune sauvage migratrice ne peut être totalement écarté, ce sont les interventions humaines et la structuration de la filière qui les propagent. Ainsi, les manquements humains aux règles de biosécurité, les fortes densités d’animaux dans les élevages, mais aussi la proximité entre ces derniers (et donc celles des parcours), tout comme les déplacements liés aux activités des filières dans le Sud-Ouest représentent autant de sources réelles de diffusion des virus.
Mais vu la difficulté d’évaluer l’efficacité des méthodes alternatives à la claustration des animaux (réduction de la taille des parcours, mise en place de filets afin de prévenir les contacts avec les oiseaux migrateurs, par exemple), l’Anses2préconise la claustration des animaux dans les bâtiments comme mesure phare de prévention de la transmission du virus. Le gouvernement n’a donc retenu que cette mesure pour freiner la diffusion de la grippe aviaire, sans pour autant annoncer un travail de fond sur les facteurs de prévention à long terme. Il est pourtant indispensable qu’une profonde réflexion soit engagée pour réduire les facteurs de risques inhérents à l’organisation des filières avicoles (forte concentration des sites, déplacements des animaux, etc.…).
Or, cette décision d’interdire l’accès des oiseaux aux parcours n’est pas dépourvue de risques pour le bien-être des animaux. En effet, les bâtiments des élevages plein air ne sont pas dimensionnés pour y abriter en permanence les oiseaux. Mêmes si les densités restent inférieures aux réglementations minimales, elles deviennent alors trop élevées pour écarter le risque d’une dégradation de la litière et/ou de l’ambiance dans les bâtiments. Une altération de l’état physique et mental des animaux est à craindre, avec l’apparition de troubles de santé ou de comportements déviants, tels que le picage. Ces risques sont clairement identifiés par les autorités puisqu’une dérogation est déjà prévue pour les élevages de gallinacées sous labels (poules pondeuses, poulets, dindes…) lorsque qu’une dégradation du bien-être des animaux est observée. C’est seulement après avoir fait un tel constat (animaux stressés, affaiblis voire blessés), que les services vétérinaires lèveront l’obligation de claustration, autrement dit une fois que le mal est fait.
Dans cette politique du moindre mal, la mise en place de jardins d’hiver pourrait adoucir les conditions de vie des volailles durant les périodes de crise sanitaire. Ces espaces extérieurs couverts et enrichis constituent en effet une alternative au confinement total des oiseaux dans les bâtiments. Ils leur garantissent en outre un accès à l’air libre, lorsqu’ils ne peuvent accéder au parcours. WELFARM recommande la présence de jardins d’hiver, appelés également préaux, dans tous les élevages de volailles, quel que soit le mode de production.
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1 Anses, 2017. Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif « aux conséquences de la détection de cas d’IAHP dans la faune sauvage »
2 Anses, 2021. Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif à un retour d’expérience sur la crise influenza aviaire hautement pathogène 2020-2021 (1ère partie). [En ligne, consulté le 21 décembre 2021] https://www.anses.fr/fr/system/files/SABA2021SA0022.pdf