Les poissons, des animaux sensibles et intelligents

La question du bien-être animal est rarement prise en compte pour les poissons. Pourtant, eux aussi peuvent éprouver du stress, ressentir la douleur ou encore des émotions comme l’anxiété et la peur. Et le saumon atlantique, premier poisson d’élevage consommé en France n’échappe pas à la règle.

Saumon atlantique
©slowmotiongli

Dépourvus d’expressions faciales et a priori muets1, les poissons ne suscitent pas la même compassion que les mammifères et inspirent malheureusement peu d’empathie. Dans l’imaginaire commun, les poissons ne ressentent pas la douleur et on ne leur reconnaît aucune individualité et encore moins d’intelligence…

Pourtant, nombreuses sont les découvertes en biologie et en éthologie qui nous permettent de mieux appréhender la manière dont ces animaux perçoivent le monde, le ressentent et le vivent. Grâce aux avancées scientifiques en la matière, on peut désormais affirmer que les poissons sont sensibles, conscients et qu’ils ressentent des émotions.

Par leur diversité et leur singularité (on compte à ce jour pas moins de 35 000 espèces différentes2), ces êtres ont également beaucoup à nous apprendre. D’après la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), plus de 80 % des océans de la planète restent aujourd’hui inexplorés. Les abysses, par exemple, demeurent particulièrement mystérieuses.

Les poissons sont sensibles à la douleur

Les poissons sont dotés de récepteurs de la douleur (nocicepteurs) et perçoivent cette dernière. Dans une étude menée sur les truites, l’injection d’une solution contenant du vinaigre dans leur lèvre supérieure provoque des comportements liés à la perception de la douleur ou des comportements pour la soulager : elles sont plus agitées, se désintéressent de la nourriture, frottent leur lèvre contre les parois ou les graviers de l’aquarium. L’administration de morphine à ces mêmes animaux réduit alors ces comportements d’inconfort.

Les poissons sont conscients

Le labre nettoyeur, un petit poisson tropical, a récemment passé avec succès le test du miroir3, une expérimentation fréquemment réalisée pour évaluer la conscience de soi chez les animaux. Notons que des résultats préliminaires pointent vers l’existence de cette capacité chez un autre poisson : la raie Manta4.

Labre nettoyeur
©Valeronio

De nombreux poissons sont capables de reconnaissance interindividuelle et peuvent avoir une vie sociale complexe, marquée par des affinités5 et/ou une organisation hiérarchique. Certains d’entre eux6 sont même capables d’inférence transitive, c’est-à-dire de réaliser le raisonnement selon lequel si A > B, et B > C, alors A > C, en particulier pour déduire la hiérarchie sociale. Lorsqu’elles coopèrent avec un partenaire, les épinoches ajustent le degré de risque qu’elles prennent en fonction du degré de confiance qu’elles accordent à leur partenaire. Les poissons combattants7 et labres nettoyeurs8 adaptent leur comportement selon qu’ils sont ou non observés par un congénère afin d’améliorer la façon dont ils sont perçus par leurs pairs. Les mérous et le murènes9 sont capables de communiquer pour travailler ensemble dans le cadre de chasse coopérative. Des cas de transmission dite « culturelle »10 de traditions11 d’une génération à l’autre ont même été observés chez certaines espèces de poissons de récifs, notamment les gorettes jaunes.

Les poissons ont de la mémoire

Contrairement aux idées reçues, le poisson rouge peut se souvenir d’apprentissages complexes pendant plusieurs semaines, comme actionner un levier pour obtenir de la nourriture. La carpe garde pour sa part le souvenir d’une blessure par hameçon pendant au moins un an, ce qui évite aux animaux les plus expérimentés d’être à nouveau blessés.

Carpe commune
©prochym

Les poissons ont des émotions

Sensibles, conscients et doués de mémoire, les poissons ressentent également des émotions. Un rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) reconnaît ainsi explicitement la capacité des poissons téléostéens (qui représentent la majorité des espèces) à ressentir la peur. Selon un autre rapport, de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement cette fois, « de nombreux animaux, y compris les poissons, sont capables des mêmes processus d’évaluation que ceux qui déclenchent des émotions conscientes chez les humains ».

Une étude de The Royal Society sur le cichlidé zébré – une des rares espèces de poissons qui apportent des soins biparentaux à leurs petits et qui sont monogames – suggère l’existence d’un attachement émotionnel entre partenaires. Les femelles ressentiraient des émotions négatives lorsqu’elles sont séparées de leur mâle préféré et mise avec un autre mâle.

Des travaux12 menés sur la daurade ont montré des patterns de réactions comportementales et physiologiques spécifiques en réponse à l’exposition à des stimuli positifs ou négatifs présentés de façon prévisible ou imprévisible, ce qui suggère que ces 4 situations génèrent 4 formes d’états émotionnels distinctes.

Les poissons sont donc « sentients », c’est-à-dire qu’ils sont capables de ressentir subjectivement des états mentaux positifs et négatifs.

Quid du saumon atlantique ?

Chez les salmonidés comme chez la plupart des poissons, on peut classer les individus selon leur personnalité avec d’un côté, des individus plutôt « timides », qui sont peu agressifs, sont plus sensibles au stress, ont peur de prendre des risques, ont peur de la nouveauté ; et de l’autre, des individus plus « audacieux », davantage agressifs, plus enclins à prendre des risques, davantage curieux face aux nouveautés et moins sensibles au stress13.

Les salmonidés sont très peu étudiés sous l’angle de la cognition. Les principaux travaux scientifiques sur cette famille de poissons sont plutôt axés sur leur comportement en milieu naturel, la physiologie, la zootechnie et l’éthologie appliquée au bien-être en élevage. Les poissons les plus étudiés du point de vue de la cognition ne sont généralement pas des espèces élevées pour la consommation.

Le saumon atlantique d’élevage peut souffrir de dépression

Quelques études sur les saumons atlantiques d’élevage ont cependant donné lieu à des publications :

– une étude14 démontre ainsi que si, après leur avoir appris qu’ils reçoivent de la nourriture après un flash lumineux, on les expose à ce même flash lumineux sans distribuer de la nourriture, les saumons vont exprimer de l’agitation et plus d’agressions inter-individuelles, ce qui laisse penser qu’ils ressentent de la frustration.

– Plusieurs travaux15 identifient qu’un certain pourcentage des saumons dans les cages marines présentent des caractéristiques physiologiques (biomarqueurs de stress, anomalies dans la régulation de la sérotonine, maigreur) et comportementales (comportement apathique, perte d’appétit, nage stationnaire en surface collés aux parois des cages) qui correspondent aux critères du syndrome dépressif.

Un poisson migrateur, qui a besoin d’espace

Le saumon atlantique est présent dans tout l’océan Atlantique nord, de la côte est de l’Amérique du Nord jusqu’en Europe. C’est un grand voyageur, car il s’agit d’une espèce migratrice.

Il naît en eau douce, en rivière, où il mène une vie solitaire et territoriale. Puis, entre sa première et sa troisième année, il migre vers l’océan. On parle alors de « dévalaison ».

Pour s’adapter à l’eau de mer, un processus physiologique appelé smoltification survient.

Les saumons atlantiques parcourent des distances considérables au sein des rivières pour arriver jusqu’en mer ; ensuite ils peuvent parcourir des distances encore plus grandes, allant jusqu’à 3 000 km, par exemple comme certaines populations qui migrent depuis le nord-ouest de l’Espagne vers le sud-ouest du Groënland16.

Lorsqu’ils retournent en rivière pour se reproduire après leurs années passées en mer, les saumons ont tendance à revenir très précisément dans leurs eaux natales pour frayer. Cela suppose qu’ils ont une mémoire à long terme, et qu’ils peuvent mémoriser des informations à un stade précoce de leur développement. Ils retrouvent leur chemin en partie via les mécanismes suivants17 :

– imprégnation olfactive. Les saumons mémorisent l’odeur de l’eau dans la frayère où ils sont nés et sont capables de la reconnaître, même diluée à 0,1 %, des années après ;

– ils perçoivent le champ géomagnétique de la terre qu’ils peuvent utiliser à la manière d’une boussole pour se repérer ;

– chez certaines espèces de saumons pacifiques (cousins des saumons atlantiques), des travaux montrent qu’ils utiliseraient également la position des étoiles pour se repérer. On suspecte que cette capacité pourrait aussi exister chez les saumons atlantiques.

Pour en savoir plus sur les saumons, consultez notre page dédiée.

Réglementation inadaptée

Les connaissances scientifiques sur les capacités sensibles et cognitives des poissons obligent aujourd’hui à reconsidérer la façon dont nous les traitons durant leur élevage, leur transport et au moment de leur abattage. Légalement, rien n’impose de recourir à l’étourdissement des poissons avant la mise à mort, il est donc urgent que la réglementation et les pratiques évoluent. Il s’agit d’une demande sociétale : selon un sondage d’Eurogoup for animals, 79 % des Européens estiment que le bien-être des poissons devrait être protégé de la même façon que celui des autres animaux élevés pour l’alimentation humaine.

Welfarm en campagne contre les fermes-usines de saumons

Welfarm a lancé en avril 2024 sa campagne « RAS : Tout à signaler » pour dire non aux fermes usines de saumons. Trois projets de très grands élevages hyper-intensifs de saumons atlantiques menacent de sortir de terre en France. Des installations terrestres en circuit fermé qui ne garantissent pas un niveau de bien-être satisfaisant pour les poissons. Welfarm s’oppose à la poursuite de ces projets et demande un moratoire sur ce type d’élevages pour qu’ils ne puissent pas voir le jour tant que le bien-être des poissons n’y sera pas garanti.

Une pétition est en ligne pour que les citoyens soutiennent cette demande.

(1) On aurait tendance à penser que tous les poissons sont muets mais c’est faux. En effet beaucoup d’espèces de poissons émettent des sons à des fréquences inaudibles pour l’oreille humaine. Source : https://www.biorxiv.org/content/biorxiv/early/2020/09/14/2020.09.14.296335.full.pdf

(2) Nelson, J. S., Grande, T. C., & Wilson, M. V. (2016). Fishes of the World. John Wiley & Sons.

(3) Kohda, M., Sogawa, S., Jordan, A. L., Kubo, N., Awata, S., Satoh, S., … & Bshary, R. (2022). Further evidence for the capacity of mirror self-recognition in cleaner fish and the significance of ecologically relevant marks. PLoS biology, 20(2), e3001529.

(4) Ari, C., & D’Agostino, D. P. (2016). Contingency checking and self-directed behaviors in giant manta rays: Do elasmobranchs have self-awareness?. Journal of Ethology, 34(2), 167-174.

(5) Barber, I., & Wright, H. A. (2001). How strong are familiarity preferences in shoaling fish?. Animal Behaviour, 61(5), 975-979.

(6) Grosenick, L., Clement, T. S., & Fernald, R. D. (2007). Fish can infer social rank by observation alone. Nature, 445(7126), 429-432

(7) Dzieweczynski, T. L., Earley, R. L., Green, T. M., & Rowland, W. J. (2005). Audience effect is context dependent in Siamese fighting fish, Betta splendens. Behavioral Ecology, 16(6), 1025-1030.

(8) Binning, S. A., Rey, O., Wismer, S., Triki, Z., Glauser, G., Soares, M. C., & Bshary, R. (2017). Reputation management promotes strategic adjustment of service quality in cleaner wrasse. Scientific Reports, 7(1), 1-

(9) Bshary, R., Hohner, A., Ait-el-Djoudi, K., & Fricke, H. (2006). Interspecific communicative and coordinated hunting between groupers and giant moray eels in the Red Sea. PLoS biology, 4(12), e431