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La dinde : des sous-bois d’Amérique du Nord aux élevages français

La dinde domestique (Meleagris) est un genre d’oiseau galliforme de grande taille élevé pour sa chair. Les souches de dindes utilisées en élevage sont issues du dindon sauvage (Meleagris gallopavo), originaire d’Amérique du Nord. 

Les dindes sont des animaux très curieux, qui vivent en petits groupes et passent beaucoup de temps à explorer leur environnement. Elles peuvent courir vite et voler sur de courtes distances. Les dindons sauvages disposent d’une vision et une ouïe très développées, d’un répertoire vocal très riche et ont mémoire spatiale remarquable. La femelle élève une douzaine de dindonneaux par an et son instinct protecteur est très marqué.

Les dindes domestiques peuvent vivre une dizaine d’années, mais en élevage standard elles sont abattues entre 12 et 14 semaines pour les femelles et 16 à 20 semaines pour les mâles.

La production de viande de dinde connait une forte baisse depuis les années 2000 en France. En 2023, elle ne représentait plus que 15,4 % des volailles élevées en France, nouvelle baisse depuis 2021 (18 %), soit une proportion très inférieure à la production de poulets, qui domine très largement parmi les volailles de chair (74,6 % en 2023, 70 % en 2021), selon Anvol, l’interprofession des volailles de chair (1).

Le nombre de dindes abattues par an en France s’élève à environ 30 millions : 28,7 en 2023, 30,1 en 2022, 35,5 en 2021, 39 en 2020, selon Agreste (2).

Si la viande de dinde arrive en seconde position parmi les volailles les plus consommées en France, c’est là aussi bien loin derrière la viande de poulet, puisqu’elle ne représentait, en 2023, que 12,2 % contre 79,8 % pour cette dernière, selon Anvol (3)

On estime à 97 % la proportion des dindes élevées en élevage intensif (produits standards ou certifiés conformes) en France (4). Les autres modes de production sont très peu développés, il s’agit des dindes fermières label Rouge et des dindes produites en agriculture biologique.

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Conditions de vie des dindes en élevage standard

La conduite d’élevage la plus classique en production de dindes consiste à élever les animaux dans le même bâtiment jusqu’à leur départ pour l’abattoir. Les dindonneaux arrivent du couvoir à l’âge d’un jour. Ils sont répartis par sexe dans le bâtiment qui est séparé en deux par une demi-cloison, les femelles d’un côté et les mâles de l’autre. Après le départ des femelles, abattues un peu plus jeunes que les mâles, la demi-cloison est retirée afin que les mâles occupent tout l’espace du bâtiment. 

En production standard, ni la densité, ni la taille des lots ne sont réglementairement limitées. La densité en élevage standard s’élève généralement à 8 dindes/m² (densité moyenne mâles/femelles). Si le nombre d’oiseaux détenus dans un même bâtiment est moindre dans les élevages de dindes que de poulets, la taille des lots est sans commune mesure avec la taille des groupes que forment naturellement les dindes. 

La densité élevée a de multiples incidences, directes ou indirectes. Dans les premiers jours, compte tenu de leur petite taille, les dindonneaux disposent de suffisamment d’espace. Mais leur croissance rapide change radicalement la situation en quelques semaines. L’espace vient à manquer et le sol est à peine visible tant les dindes sont serrées dans les bâtiments. Cette situation génère un stress social, les dindes sont contraintes à une proximité extrême, elles ne peuvent s’éloigner suffisamment d’un congénère en cas d’interaction agressive, ni même se déplacer sans se déranger mutuellement.

Avec cette forte densité qui atteint parfois plus de 60 kg/m² à certaines périodes au cours de l’élevage, la litière (copeaux de bois ou de paille hachée) est rapidement dégradée en raison du volume de déjections qu’elle doit absorber. Même l’ajout régulier de litière ne permet pas de rendre celle-ci sèche et friable comme elle devrait l’être afin que les dindes ne piétinent pas en permanence sur un sol humide et acide et qu’elles puissent gratter et picorer le sol. 

La dégradation rapide de la litière est à l’origine de troubles respiratoires et de lésions cutanées très douloureuses. En contact permanent avec la litière humide et saturée d’excréments, nombre de dindes sont atteintes de lésions cutanées, allant jusqu’à des ulcérations et infections, au niveau des pattes ou de la poitrine. En outre, l’air est rapidement pollué, notamment par les émanations d’ammoniac qui se dégagent de la litière, d’où des irritations des muqueuses et des pathologies respiratoires.

Claustrées de leur arrivée dans le bâtiment à leur départ pour l’abattoir, les dindes sont détenues dans un environnement inadapté à leurs besoins comportementaux car très homogène et très pauvre en stimulations pertinentes pour leur espèce. Aucun aménagement n’est prévu pour leur donner l’opportunité d’exprimer leurs comportements spécifiques. Alors que les dindes se perchent, principalement pour le repos, aucun support de perchage n’est à leur disposition dans les bâtiments en production standard. Les dindes ne peuvent pas non plus satisfaire leur motivation pour l’exploration, faute de matériaux ou de substrats adéquats à explorer. 

Comme elles ne peuvent pas trouver dans leur environnement les conditions permettant d’exprimer leurs comportements naturels, les dindes éprouvent de nombreuses frustrations, ce qui induit un état de stress chronique.

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En outre, les dindes sont élevées la plupart du temps dans des bâtiments sans lumière naturelle et faiblement éclairés afin de réduire l’activité des oiseaux dans l’objectif de prévenir le picage. Cela favorise par ailleurs leur prise de poids. L’éclairage est maintenu le plus souvent à 5 lux (à titre informatif, l’éclairage dans les chambres de nos maisons est généralement de l’ordre de 50 lux et atteint 500 lux et plus dans les bureaux). Quand elles en ont la possibilité, les dindes fréquentent préférentiellement les zones éclairées entre 20 et 200 lux (hormis pour le perchage et le repos) (5). Dans les bâtiments d’élevage très faiblement éclairés, elles souffrent d’un manque de stimulations, et une trop faible luminosité peut avoir pour conséquence un développement anormal des yeux, susceptible provoquer une cécité. Par ailleurs, l’inactivité induite par le manque de lumière augmente le risque de troubles locomoteurs. 

Ces conditions de vie sont contraires au respect des besoins et des caractéristiques comportementales des dindes. Ces dernières survivent plus qu’elles ne vivent, et l’on constate un taux de mortalité élevé (incluant les mises à mort d’oiseaux malades, blessés ou autres), en moyenne de l’ordre de 7-8 % (6).

Aux souffrances dues aux conditions de vie proprement dites s’ajoutent des problèmes résultant du choix d’élever des souches de dindes à forte croissance d’une part, et de recourir à des pratiques mutilantes pour tenter de pailler les déficiences des conditions d’élevage. 

La sélection génétique des souches de dindes destinées à la production standard a été pensée dans l’objectif d’élever des animaux de grand format et qui grossissent très rapidement. Ces dindes appartiennent en effet à des souches dites « médium » ou à des souches dites « lourdes ». Leur masse musculaire se développe de manière conséquente et très rapidement. Abattues le plus souvent vers l’âge de 3 mois, les femelles atteignent déjà un poids de 6 à 8 kg. Quant aux mâles, ils sont abattus le plus souvent lorsqu’ils pèsent entre 15 et 20 kg, soit, selon les cas, à un âge compris entre 16 à 20 semaines. À titre comparatif, les dindons sauvages adultes pèsent aux alentours de 3 à 5 kg pour les femelles et environ 7 à 10 kg pour les mâles. 

Du fait de leur poids important et d’un déséquilibre de leur masse corporelle (muscles pectoraux hypertrophiés) résultant de l’orientation de la sélection génétique, les dindes en fin d’engraissement se déplacent difficilement et nombre d’entre elles présentent des boiteries dues aux défaillances de leur système locomoteur, voire parfois des fractures en raison de la fragilité des os et des tendons dont le développement n’est pas aussi rapide que celui de la masse musculaire.

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Par ailleurs, afin de limiter la gravité des blessures que les dindes s’infligent entre elles du fait de leurs mauvaises conditions de vie (densité d’animaux, environnement inadapté, manque de stimulations…), les dindes sont pour la plupart épointées

Réalisé au couvoir, l’épointage consiste à supprimer l’extrémité du bec. Si la technique de l’infrarouge, largement répandue aujourd’hui, ne provoque pas la même douleur que la lame chauffante ou la coupe à la pince, l’épointage est une atteinte à l’intégrité physique des oiseaux et altère l’expression de certains de leurs comportements. En effet, le bec est aussi indispensable aux oiseaux que le sont les mains pour l’homme. Très innervé, et donc très sensible, le bec est utilisé dans une grande diversité de comportements : exploration l’environnement, préhension de la nourriture ou de matériaux divers, entretien du plumage… Les multiples facteurs favorisant le développement de ce trouble du comportement qu’est le picage sont aujourd’hui connus, mais plutôt que de repenser les conditions d’élevage, l’épointage perdure alors qu’il s’attaque aux symptômes et non à la cause du problème. Il est important de souligner que l’épointage peut se rencontrer aussi dans les autres systèmes d’élevage. Contrairement au dégriffage, il peut ainsi être autorisé à titre dérogatoire en élevage biologique. 

Quant au dégriffage, il est peu pratiqué actuellement. Cette mutilation, également réalisée au couvoir, pourrait néanmoins se développer dans les élevages recourant à des souches de dindes jugées particulièrement vives (7).

Enjeux de bien-être animal et demandes de Welfarm

Adopter une réglementation spécifique pour protéger les dindes en élevage 

Il n’existe actuellement pas de réglementation spécifique protégeant les dindes dans les élevages, que ce soit au niveau national ou européen, à l’inverse d’autres espèces comme les poulets de chair ou les poules pondeuses. 

L’élevage de dindes est donc réglementairement encadré uniquement par les grands principes de la directive 98/58/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant la protection des animaux dans les élevages, directive bien trop généraliste pour pouvoir garantir une protection satisfaisante des dindes.

En 2021, l’Autriche, qui disposait déjà de normes minimales quant aux conditions d’élevage des dindes, a appelé l’Union européenne à se doter d’une réglementation pour protéger les dindes, en proposant notamment une densité maximale à 40 kg/m² et l’obligation d’enrichir leur milieu de vie. Cette initiative était présentée avec le soutien de plusieurs États membres (Belgique, Chypre, Allemagne, Luxembourg et Slovaquie), dont ne faisait pas partie la France… 

Un an plus tard, en Belgique, le gouvernement de la Région wallonne a publié un arrêté relatif au bien-être des dindes dans les élevages. Parmi les obligations à respecter figurent notamment une densité maximale fixée à 30 kg/m² pour les dindes femelles et 36 kg/m² pour les mâles, la présence de matériaux d’exploration, mais aussi l’accès à un jardin d’hiver en l’absence de parcours extérieur. 

Welfarm appelle la France à faire preuve de telles initiatives et, a minima, à soutenir les projets de textes qui seront les plus ambitieux dans le cadre de la révision de la législation européenne protégeant les animaux d’élevage, en veillant à ce qu’aucun animal ne soit oublié, comme le sont actuellement les dindes.

Développer des conditions d’élevage respectant les besoins physiologiques et comportementaux des dindes 

Les demandes de Welfarm pour améliorer les conditions de vie des dindes en élevage portent principalement sur les points suivants :

  • accès à l’extérieur, au minimum à un espace à l’air libre type véranda ;
  • densité n’excédant jamais 40 kg/m² pour les mâles et 36 kg/m² pour les femelles ;
  • lumière naturelle ;
  • matériaux à explorer, principalement comestibles (ballots de fourrage, blocs à picorer, distribution de grains dans la litière…) ;
  • supports de perchage, dont plateformes surélevées ;
  • souches à croissance lente ;
  • -interdiction progressive de l’épointage.

Améliorer les pratiques d’abattage

Les demandes de Welfarm pour réduire les souffrances des dindes lors de l’abattage portent principalement sur les points suivants :

  • étourdissement systématique obligatoire ;
  • pas d’accrochage des dindes vivantes en position inversée, car source de souffrance ; 
  • toutes les dindes devraient être étourdies avec une méthode permettant de les garder dans une position « normale », ce que permet la narcose gazeuse (avec en plus l’avantage d’éviter les nombreuses manipulations) ;
  • obligation de sectionner les deux carotides lors de la saignée.

Consom’action

Par vos actes d’achat, vous pouvez agir pour une meilleure prise en compte du bien-être des dindes :

  • réduisez votre consommation de viande de dinde ;
  • privilégiez les 3 % d’élevages les plus respectueux des animaux, que l’on retrouve le plus souvent sous signe de qualité et de l’origine dinde fermière label Rouge ou biologique avec les mentions « élevée en liberté » ou « élevée en plein air ».

Comment agit Welfarm

Welfarm porte et argumente ses recommandations ci-dessus pour améliorer la condition des dindes en production standard auprès de différents acteurs. L’association s’est particulièrement investie dans la co-création et le suivi d’un élevage pilote avec véranda. Ce travail s’inscrit dans le cadre d’un partenariat conclu avec une coopérative afin de développer ce mode d’élevage en tant qu’alternative à la claustration permanente lorsque l’accès à un parcours végétalisé s’avère impossible. L’ajout de véranda/jardin d’hiver dans les élevages de dindes se développe dans plusieurs groupements d’éleveurs et doit être encouragé afin que cette pratique se généralise.

Pour aller plus loin

  1. https://interpro-anvol.fr/wp-content/uploads/2024/02/DP_ANVOL_FEVRIER2024_val.pdf
  2. Tableaux interactifs, données Volailles et lapins : productions et abattages 
  3. https://interpro-anvol.fr/wp-content/uploads/2024/02/DP_ANVOL_FEVRIER2024_val.pdf
  4. Nous ne disposons pas de nouvelles données permettant d’actualiser cette estimation, mais aucun élément contextuel relatif à la filière dinde ou aux filières volailles de chair dans leur ensemble n’évoque un repli notable de la production standard de dindes. 
  5. Barber, Prescott, Warthes, Le Sueur, Perry, Preference of growing duckings and turkey poults for illuminance. Animal Welfare. 2004
  6. Enquête Itavi 2015 – Résultats technico économiques – Fiches de synthèse Performances techniques et coûts de production en volailles de chair en 2022
  7. Facteurs de réussite de l’élevage de dindes, Terra, 7 février 2016, 34-35