La question du bien-être animal est rarement prise en compte pour les poissons. Pourtant, eux aussi peuvent éprouver du stress, ressentir la douleur ou encore des émotions comme l’anxiété et la peur.

D’après un récent sondage, environ 76 % des Français1 affirment souhaiter que les poissons bénéficient d’une protection similaire à celles des autres animaux destinés à la consommation humaine, bien qu’ils reconnaissent n’avoir que peu ou pas de connaissances sur les poissons.

Dépourvus d’expressions faciales et a priori muets, les poissons ne suscitent pas la même compassion que les mammifères et inspirent malheureusement peu d’empathie. Dans l’imaginaire commun, les poissons ne ressentent pas la douleur et on ne leur reconnaît aucune individualité et encore moins d’intelligence

ET POURTANT… Nombreuses sont les découvertes en biologie et en éthologie qui nous permettent de mieux appréhender la manière dont les poissons perçoivent le monde, le ressentent et le vivent. Grâce aux avancées scientifiques en la matière, on peut désormais affirmer que les poissons sont sensibles, conscients et qu’ils ressentent des émotions.

Par leur diversité et leur singularité (on compte à ce jour pas moins de 35 000 espèces différentes2), ces êtres ont également beaucoup à nous apprendre. D’après la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), plus de 80% des océans de la planète restent encore aujourd’hui inexplorés. Les abysses, par exemple, demeurent particulièrement mystérieuses.

Les poissons sont sentients

sentient

Ils sont sensibles

Les poissons sont dotés de récepteurs à la douleur (nocicepteurs) et perçoivent cette dernière. Dans une étude menée sur les truites, l’injection d’une solution contenant du vinaigre dans leur lèvre supérieure provoque des comportements liés à la perception de la douleur ou des comportements pour la soulager : elles sont plus agitées, se désintéressent de la nourriture, frottent leur lèvre contre les parois ou les graviers de l’aquarium. L’administration de morphine à ces mêmes animaux réduit ces comportements d’inconfort.

Ils sont conscients

Le labre nettoyeur, un petit poisson tropical, a récemment passé avec succès le test du miroir3, une expérimentation fréquemment réalisée pour évaluer la conscience de soi chez les animaux. Notons que des résultats préliminaires pointent vers l’existence de cette capacité chezun autre poisson : la raie Manta4.

Les poissons ressentent des émotions

truite

Nombre de poissons sont capables de reconnaissance interindividuelle et peuvent avoir une vie sociale complexe, marquée par des affinités5 et/ou une organisation hiérarchique. Certains d’entre eux6 sont même capables d’inférence transitive, c’est-à-dire de réaliser le raisonnement selon lequel si A > B, et B > C, alors A > C, en particulier pour déduire la hiérarchie sociale. Les poissons combattants7 et labres nettoyeurs8 adaptent leur comportement en fonction de s’ils sont ou non observés par un congénère pour améliorer la façon dont ils sont perçus par leurs pairs. Les mérous et murènes9 sont capables de communiquer pour travailler ensemble dans le cadre de chasse coopérative. Des cas de transmission dite “culturelle10 de traditions11 d’une génération à l’autre ont même été observés chez certaines espèces.

Les poissons ont de la mémoire

poissons rouges

Contrairement aux idées reçues, le poisson rouge peut se souvenir d’apprentissages complexes pendant plusieurs semaines, comme actionner un levier pour obtenir de la nourriture. Après plusieurs années passées en mer, qui lui permettent d’atteindre sa maturité sexuelle, le saumon, quant à lui, entame une longue migration, déclenchée entre autres par des modifications hormonales liées à la durée des jours. Il retrouve sa rivière d’origine pour s’y reproduire, principalement guidé par le souvenir des odeurs des différentes eaux traversées sur son parcours. Enfin, la carpe garde le souvenir d’une blessure par hameçon pendant au moins un an, ce qui évite aux animaux les plus expérimentés d’être à nouveau blessés.

Certains poissons vivent longtemps

longévité des poissons en milieu naturel
L’espérance de vie de 38 ans pour la truite renvoie à la truite commune. La truite arc-en-ciel, très couramment élevée en France, a de son côté une espérance de vie de 11 ans.

Les poissons vivent plus longtemps que ce que l’on s’imagine. C’est le cas notamment de la carpe japonaise (Koï)12, dont il a été rapporté que certains individus auraient dépassé les 200 ans. Mais la palme revient au requin du Groenland, dont la longévité est estimée à près de 400-500 ans. On note également que les poissons d’élevage (truites, daurade, saumon, etc.) ont bien souvent une espérance de vie de plus de 10 ans, mais sont généralement abattus avant 30 mois.

Les poissons sont étonnants

Éthique & bonnes pratiques ?

carpes dans la glace

Les connaissances scientifiques sur les capacités sensibles et cognitives des poissons obligent aujourd’hui à reconsidérer la façon dont nous les traitons durant leur élevage, leur transport et au moment de leur abattage. Les espèces de poissons comptent parmi celles qui sont le plus exploitées dans le monde. Selon la FAO, en 2018, dans le cadre de la pêche et de l’aquaculture, 179 millions de tonnes d’animaux aquatiques (poissons, crustacés, mollusques) ont été tués dans le monde, ce qui représente, selon les estimations, un ordre de grandeur autour de 1 000 à 3 000 milliards d’individus sentients. Légalement, rien n’impose de recourir à l’étourdissement des poissons avant de les abattre. Il est urgent que la réglementation et les pratiques évoluent. Les poissons, comme tout animal sensible, méritent eux aussi davantage de bientraitance.

1 Sondage 2018 commandité à ComRes par Eurogroup for Animals https://comresglobal.com/polls/eurogroup-for-animals-ciwf-fish-welfare-survey/

2 Nelson, J. S., Grande, T. C., & Wilson, M. V. (2016). Fishes of the World. John Wiley & Sons.

3 Kohda, M., Sogawa, S., Jordan, A. L., Kubo, N., Awata, S., Satoh, S., … & Bshary, R. (2022). Further evidence for the capacity of mirror self-recognition in cleaner fish and the significance of ecologically relevant marks. PLoS biology, 20(2), e3001529.

4 Ari, C., & D’Agostino, D. P. (2016). Contingency checking and self-directed behaviors in giant manta rays: Do elasmobranchs have self-awareness?. Journal of Ethology, 34(2), 167-174.

5 Barber, I., & Wright, H. A. (2001). How strong are familiarity preferences in shoaling fish?. Animal Behaviour, 61(5), 975-979.

6 Grosenick, L., Clement, T. S., & Fernald, R. D. (2007). Fish can infer social rank by observation alone. Nature, 445(7126), 429-432

7 Dzieweczynski, T. L., Earley, R. L., Green, T. M., & Rowland, W. J. (2005). Audience effect is context dependent in Siamese fighting fish, Betta splendens. Behavioral Ecology, 16(6), 1025-1030.

8 Binning, S. A., Rey, O., Wismer, S., Triki, Z., Glauser, G., Soares, M. C., & Bshary, R. (2017). Reputation management promotes strategic adjustment of service quality in cleaner wrasse. Scientific Reports, 7(1), 1-

9 Bshary, R., Hohner, A., Ait-el-Djoudi, K., & Fricke, H. (2006). Interspecific communicative and coordinated hunting between groupers and giant moray eels in the Red Sea. PLoS biology, 4(12), e431.

10 Mathis, A., Chivers, D. P., & Smith, R. J. F. (1996). Cultural transmission of predator recognition in fishes: intraspecific and interspecific learning. Animal Behaviour, 51(1), 185-201.

11 Helfman, G. S., & Schultz, E. T. (1984). Social transmission of behavioural traditions in a coral reef fish. Animal Behaviour, 32(2), 379-384.

12 Huntingford, F., Jobling, M., & Kadri, S. (Eds.). (2012). Aquaculture and behavior. Oxford: Wiley-Blackwell.