Élevage intensif : comment sont élevés les poissons ?

Les études scientifiques l’affirment, les poissons sont capables de ressentir des émotions1 négatives comme positives (souffrance, peur, joie…), tout comme les mammifères et les oiseaux. Cependant, partout en Europe, des millions de poissons sont détenus au sein d’élevages intensifs, dans des conditions qui sont loin de satisfaire leurs besoins comportementaux et physiologiques : placés dans un environnement inadapté et soumis à des pratiques d’élevage, de transport et d’abattage peu réglementées, ils souffrent bien souvent de stress, de douleur, de maladies et de parasitisme tout au long de leur courte vie.

La collecte des œufs

Pour les espèces d’aquaculture les plus consommées en Europe, la reproduction se fait généralement par fécondation artificielle. Cela implique de récolter les œufs et la semence des reproducteurs.

Lors de la collecte des œufs, les truites et les saumons sont manipulés hors de l’eau. Les flancs des poissons sont pressés avec la main, afin d’éjecter les œufs hors de l’abdomen. Le liquide séminal des mâles (la laitance) est également prélevé par massage de l’abdomen. Le sperme ainsi récolté est ensuite déposé sur les œufs extraits des femelles.

Pour faciliter leur manipulation et diminuer leur stress, les animaux sont sédatés. Selon la dose utilisée, la sédation sera légère ou profonde. Ainsi, nombre de poissons sont seulement immobilisés et restent conscients durant cet acte très éprouvant. Au-delà du stress provoqué par la manipulation et le maintien hors de l’eau, l’action mécanique exercée sur l’abdomen peut endommager les tissus et fragilise la barrière immunitaire constituée du mucus et des écailles.

Pour certaines espèces comme les esturgeons, l’extraction des œufs est réalisée chirurgicalement et non par voie naturelle, et les femelles sont le plus souvent euthanasiées après l’intervention. Chez le bar et la daurade, la maîtrise des paramètres du milieu liés à la reproduction permet d’obtenir une ponte spontanée, ce qui évite l’extraction manuelle pratiquée chez les truites et les saumons.

À défaut de pouvoir déclencher des pontes spontanées grâce à une bonne maîtrise des cycles, il est indispensable de mieux contrôler la prise en charge de la douleur et le niveau d’anesthésie des poissons reproducteurs lors de ces manipulations. D’autres techniques moins invasives devraient être développées.

Le transport des juvéniles

Le chargement des jeunes poissons dans les réservoirs utilisés pour leur transport2 peut être fait avec des épuisettes ou à l’aide d’une pompe. Cette seconde technique consiste à transvaser les juvéniles de leurs bassins aux réservoirs, en les aspirant dans un gros tuyau. Bien qu’éprouvante, cette méthode évite le stress de la mise hors de l’eau. Les réservoirs sont ensuite chargés dans des camions. Les juvéniles sont transportés des écloseries vers les fermes d’élevage parfois sur des milliers de kilomètres en raison du faible nombre d’écloseries sur le territoire européen.

La durée du transport est très variable, mais les poissons peuvent parfois endurer jusqu’à trente-six heures de transport3 dans des conditions déplorables. Du fait de l’importante quantité d’individus dans ces réservoirs, la qualité de l’eau peut très vite devenir toxique pour les poissons. Le chargement et le déchargement des animaux, ainsi que les fortes densités dans les réservoirs de transport, sont à l’origine de blessures, parfois sévères, et pouvant provoquer la mort des poissons.

Ces transferts sont à chaque fois sources de stress en raison des manipulations, du changement soudain d’environnement, des densités inadaptées, des bruits, vibrations, mouvements et de la mauvaise qualité de l’eau.

La vie en élevage (le grossissement)

Les systèmes d’élevage varient en fonction de l’espèce, de la zone géographique et de l’étape d’élevage. Ils sont le plus souvent intensifs, mais selon l’espèce, ils peuvent aussi être extensifs ou semi-intensifs. L’élevage peut être réalisé dans des étangs (pour l’élevage de carpes principalement), en bassins (principalement pour les juvéniles marins et pour les truites), ou encore dans des cages en mer (grosses truites, saumons, daurades et bars pendant la phase de croissance) ou en lac (grosses truites et saumons en Ecosse).

Les saumons, truites, bars et daurades sont souvent confinés à haute densité dans des espaces réduits. Détenus dans un environnement très différent de leur milieu naturel et sans aucun enrichissement, ces poissons voient une grande partie de leurs comportements naturels restreints : fouiller le sol, chasser, plonger à plusieurs mètres de profondeur, se cacher dans la pénombre ou dans des abris, ou encore développer des liens sociaux conformes à leurs espèces (ou les minimiser pour les espèces solitaires), est le plus souvent impossible, et cela impacte significativement leur bien-être.

Les densités trop élevées engendrent des risques d’agressions entre les individus et donc de stress et de blessures. Sur les sites intensifs, les conditions d’élevage actuelles des truites en bassins peuvent être assimilées, en termes de captivité, à celles des poulets élevés en bâtiments. Le stress résultant de ces conditions d’élevage affaiblit leurs défenses immunitaires et les expose aux maladies.

De même, lorsque la qualité de l’eau est mauvaise (manque d’oxygène, excès de dioxyde de carbone et d’ammoniac, températures ou pH inadapté) diverses pathologies peuvent survenir, notamment des maladies de peau, ainsi que des taux de mortalité parfois élevés. Dans ces conditions d’élevage intensives, le parasitisme est un autre mal dont peuvent souffrir les poissons.

Durant la phase d’élevage, les poissons sont manipulés, souvent hors de l’eau, à plusieurs reprises pour les vaccinations, les tris ou encore les pesées. Ces manipulations sont sources de stress et de blessures potentielles, et sont souvent précédées d’un jeûne, utile car il participe à limiter le stress engendré, mais également éprouvant et souvent plus long que nécessaire. Le nombre de manipulations devrait être réduit au strict minimum et, lorsqu’elles sont inévitables (ex. vaccination), la douleur, le stress et les blessures qu’elles peuvent provoquer devraient être minimisés, et lorsque c’est possible pris en charge pharmacologiquement.

Le transfert des poissons pour leur commercialisation

Avant leur transport, les poissons sont mis à jeûner durant vingt-quatre heures au minimum et parfois durant plus d’une dizaine de jours. L’objectif de cette pratique est de baisser le métabolisme des animaux pour diminuer leur consommation d’oxygène et leurs excrétions. Ainsi, la qualité de l’eau est moins dégradée pendant le transport, et la qualité sanitaire de la chair après abattage est améliorée. Selon l’espèce et la température entre autres, les poissons supportent plus ou moins bien cette privation de nourriture et peuvent en souffrir lorsqu’elle est trop longue. Ce jeûne est nécessaire, mais la durée des périodes de jeun devrait être limitée au strict minimum afin de ne pas les affamer.

Après cette période de jeûne, les poissons sont sortis des bassins ou des cages pour être commercialisés. Pour être prélevés plus facilement, ils sont regroupés dans un coin à l’aide d’un filet. Cette technique s’appelle le “crowding”. Les animaux se sentent piégés, ils sont totalement paniqués et, dans l’agitation, peuvent se blesser les uns les autres, notamment avec leurs épines dorsales. Du fait de la densité, la qualité de l’eau peut drastiquement chuter localement, entraînant parfois des hypoxies sévères. Certaines manières de procéder lors de cette étape peuvent permettre de limiter le stress engendré, bien qu’elle reste forcément éprouvante.

Les poissons sont ensuite pompés via un tuyau ou prélevés avec un filet spécial, appelé salabarde ou “brail net”. Dans le second cas, ils seront exposés à l’air et subiront la pression d’écrasement de leurs congénères du fait de leur grand nombre, ce qui génère une nouvelle fois du stress et des blessures.

Selon l’organisation de l’exploitation, une fois sortis des cages ou des bassins, les poissons sont directement abattus sur les bateaux (bar, daurade), dans l’atelier de la ferme (truite, esturgeon, carpe…) ou sont chargés dans un camion pour être livrés dans une unité d’abattage.

La mise à mort

Les poissons devraient toujours être étourdis avant d’être tués afin de leur éviter des souffrances inutiles. Certaines méthodes d’étourdissement électrique, ou certaines méthodes par percussion crânienne, et surtout la combinaison de ces deux techniques sont efficaces lorsqu’elles sont correctement pratiquées (paramètres et machines adaptées à l’espèce, personnel qualifié etc.) et sont à privilégier.

Malheureusement, une grande partie des poissons meurent sans être étourdis au préalable, ou sont étourdis avec des méthodes obsolètes. Ils peuvent ainsi être immergés dans un coulis d’eau et de glace (ice slurry), dans de l’eau saturée en CO2, ou asphyxiés à l’air libre. Dans ces conditions, les poissons sont conscients et suffoquent jusqu’à leur mort survenant entre quelques minutes et plus d’une heure d’agonie. L’immersion en coulis de glace est d’ailleurs la méthode la plus commune en Europe pour les bars et les daurades, y compris en France. Si la percussion crânienne et l’étourdissement électrique sont à recommander lorsqu’ils sont correctement réalisés, ces méthodes peuvent être problématiques, notamment au niveau des taux d’échec, lorsqu’elles sont utilisées sans recourir à des équipements appropriés.

Conclusion

Les dernières recherches scientifiques prouvent que les poissons ressentent non seulement de la douleur, mais aussi de la détresse. Nous savons qu’ils sont intelligents, ont des comportements sociaux complexes et que certains peuvent utiliser des outils4. Le labre nettoyeur a même passé le test du miroir5, ce qui démontre une conscience de soi, une faculté intellectuelle reconnue à d’autres espèces animales.

Cependant, les poissons sont les plus grands oubliés en matière de réglementation. En effet, très peu de normes spécifiques encadrent leur protection en élevage et elles se révèlent souvent non contraignantes, ce qui ne permet pas d’assurer leur bien-être. Pourtant, chaque année en France, entre 20 et 66 millions6 de truites, de bars et de daurades sont élevés, manipulés, transportés et abattus dans de grandes souffrances. L’élevage français des poissons juvéniles (dont beaucoup sont exportés vivants) dépasse même les 500 millions d’individus7 par an.

1 European Food Safety Authority (EFSA). (2009). General approach to fish welfare and to the concept of sentience in fish. EFSA Journal, 7(2), 954.

2 Saraiva, J. L, Arechavala-Lopez, P, Cabrera-Álvarez, M. J & Waley, D 2021, Research for ANIT Committee – Particular welfare needs in animal transport: aquatic animals, European Parliament, Policy Department for Structural and Cohesion Policies, Brussels

3 Commission Européenne – IBF (2017) Welfare of farmed fish: common practices during transport and slaughter.

http://publications.europa.eu/resource/cellar/facddd32-cda6-11e7-a5d5-01aa75ed71a1.0001.01/DOC_1

4 Brown, C. (2012). Tool use in fishes. Fish and Fisheries, 13(1), 105-115.

5 Kohda, M., Sogawa, S., Jordan, A. L., Kubo, N., Awata, S., Satoh, S., … & Bshary, R. (2022). Further evidence for the capacity of mirror self-recognition in cleaner fish and the significance of ecologically relevant marks. PLoS biology, 20(2), e3001529.

6 http://fishcount.org.uk/studydatascreens2/2017/numbers-of-farmed-fish-B0-2017.php?countrysort=France%2Fsort2

7 https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/FISH_AQ4B__custom_2732804/default/bar?lang=fr