La fin de la castration à vif des porcelets avait été annoncée comme l’une des mesures emblématiques du ministre de l’Agriculture Didier Guillaume en matière de protection animale. L’interdiction doit entrer en vigueur au 1er janvier 2022 mais, dans les coulisses, la filière se mobilise pour pouvoir poursuivre la castration des cochons, au détriment de la souffrance importante qu’elle engendre pour des millions d’êtres sensibles…
10 millions de porcelets mâles sont castrés sans anesthésie en France chaque année. Ce chiffre, exorbitant, est d’autant plus intolérable qu’il existe des solutions viables permettant d’éviter cette mutilation douloureuse. Car, si 85 % des porcelets mâles sont encore castrés dans notre pays aujourd’hui, c’est parce que la viande de 4 % d’entre eux seulement est susceptible de dégager une odeur désagréable à la première cuisson. Une problématique mineure qui justifierait la castration, routinière et quasi-systématique, des porcelets mâles.
Pourtant, des alternatives existent. Ainsi, depuis 2012, les éleveurs du groupement leader sur le marché du porc français, la Cooperl, ont cessé de castrer les cochons. Les carcasses odorantes sont détectées sur la chaîne d’abattage et orientées dans un circuit de transformation sans cuisson, tel que le jambon ou le saucisson (l’odeur ne se révélant qu’à la cuisson). D’autres éleveurs ont, quant à eux, recours à un vaccin qui bloque temporairement la puberté des porcs mâles et donc, de l’hormone à l’origine du risque d’odeur.
Les alternatives à la castration des porcelets sont donc disponibles depuis longtemps, en France comme à l’étranger. Ces solutions ont fait leurs preuves : elles sont économiquement rentables et elles ne font pas souffrir les animaux. C’est probablement pour ces raisons que le précédent ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, avait annoncé, début 2020 l‘interdiction de la castration à vif des porcelets pour 2022 en France. Une décision tellement évidente qu’on se demande pourquoi elle n’a pas été prise plus tôt. Mais, comme toutes les rares mesures concernant la protection animale prises par ce Gouvernement jusqu’à présent, cet arrêté est incomplet. Car il laisse la possibilité aux éleveurs de pratiquer une castration sous anesthésie. Et c’est dans cette brèche que la filière porcine n’a pas tardé à s’engouffrer. Ainsi, le syndicat des industriels du secteur, Culture viande, a indiqué dans un communiqué en date du 14 décembre vouloir « explorer toutes les pistes (…) qui permettront (…) de poursuivre au 1er janvier 2022 la castration des animaux dans le cadre de la loi ». L’objectif est ici clairement affiché : la filière veut continuer à castrer les cochons et souhaite un appui du Gouvernement dans ce sens.
Cette publication de Culture Viande ne fait que renforcer les craintes des associations de protection animale quant aux suites des annonces gouvernementales. En effet, l’anesthésie n’est pas une solution éthique acceptable. Mal réalisée, elle peut être inefficace ou, au contraire, extrêmement douloureuse pour les porcelets. La Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) elle-même s’est officiellement positionnée contre l’anesthésie arguant que « scientifiquement parlant, aucune des méthodes étudiées ne provoque une anesthésie suffisante en qualité et en durée pour garantir un bon contrôle de la douleur ». Par ailleurs, compte-tenu de la complexité liée à la mise en œuvre de l’anesthésie en élevage et du surcoût économique qu’elle engendre, il est fort probable que bon nombre de porcelets continueront à être mutilés à vif. Et comme il ne peut pas y avoir un inspecteur vétérinaire derrière chaque éleveur qui castre ses animaux pour vérifier qu’il recourt bien à l’anesthésie, ces manquements resteront probablement impunis.
Le président de l’Institut du porc (Ifip) lui-même le reconnaissait en janvier 2020 : la mise en place de l’anesthésie en élevage est compliquée. Le Gouvernement avait la possibilité de prendre une mesure favorable, aussi bien pour les animaux que pour les éleveurs, en interdisant tout simplement la castration des porcelets (et non uniquement la castration à vif) et en développant les alternatives indolores pour les animaux, comme l’élevage de mâles non castrés ou l’immunocastration. Malheureusement, faute de volonté politique, cette demi-mesure laisse la porte ouverte aux lobbies qui saisissent cette opportunité pour maintenir le statu quo.
Nous exhortons donc Julien Denormandie à mettre en œuvre, dès 2022, l’interdiction totale de la castration des porcelets. Il en va de la souffrance de millions d’êtres sensibles.
(Tribune de Welfarm parue dans Libération le 22 décembre 2020)