Bien-être de l’animal et de l’éleveur, préoccupation écologique… Gros plan sur l’éleveur néerlandais Kees Scheepens à l’heure où les Pays-Bas, champions de l’élevage intensif, affichent leur volonté de changer de modèle.
La ferme de Kees Scheepens
Kees Scheepens élève sur 24 hectares 45 truies pour un élevage d’environ 200 porcs à Oirschot à proximité d’Eindhoven dans le sud des Pays-Bas. Il élève notamment la race de porc Berkshire.
Qui est Kees Scheepens, « l’homme qui murmure à l’oreille des cochons » ?
Ancien vétérinaire, Kees Scheepens est issu d’une longue lignée d’agriculteurs de la région d’Oirschot, la 19e génération pour être précis. Il élève des porcs bios mais également des bovins. Il est surnommé « l’homme qui murmure à l’oreille des cochons » du fait de sa proximité avec ses animaux et de sa façon de leur adresser la parole.
Un épisode tragique dans sa carrière de vétérinaire a conduit Kees Scheepens à se tourner vers l’élevage extensif et à créer sa propre ferme expérimentale. À la fin des années 1990, en pleine épidémie de grippe porcine, il est contraint avec ses collègues d’euthanasier environ 13 000 porcelets pourtant en parfaite santé. Une expérience qui l’a bouleversé : « En tant que vétérinaire, vous êtes formé pour soigner les animaux ou les garder en bonne santé, pas pour les abattre », explique-t-il.
À compter de ce moment, Kees Scheepens réalise que l’élevage intensif est synonyme de souffrances pour les animaux. Ce cheminement l’amène à fonder sa propre ferme il y a un peu plus de 10 ans.
Quelle est sa démarche ? « Plus intelligent, pas plus grand »
Kees Scheppens place le bien-être animal et la protection de l’environnement au cœur de sa démarche dans une profonde remise en cause du modèle agricole intensif actuel.
« Nous savons maintenant qu’un cochon n’est pas une chose : c’est un être sensible doté d’un haut niveau d’intelligence, comparable à l’intelligence d’un enfant. La production porcine d’aujourd’hui est basée sur la science d’il y a 25 ans. Les bâtiments, la manière d’élever les cochons, tout ça est dépassé. C’est fait pour favoriser la croissance rapide des porcs et produire toujours plus, mais ça ne répond pas à leurs besoins. »
« Il ne faut pas penser plus grand, plus gros, mais plus intelligemment » : tel est son mantra.
Au niveau de l’alimentation d’abord : les cochons de Kees Scheppens sont nourris avec des fruits et légumes bios récupérés. L’éleveur a conclu un accord avec une chaîne d’alimentation bio qui lui livre ses invendus et les aliments « moches » que les consommateurs n’achètent pas. Cette démarche présente un double avantage : les animaux reçoivent une alimentation très variée et le gaspillage d’une nourriture encore consommable est évité. « C’est très important qu’ils trouvent du plaisir en mangeant, explique Kees. C’est comme pour les humains : si on mangeait du pain matin, midi et soir, on ne mourrait pas, mais on n’aurait pas de plaisir. »
Au niveau de l’espace accordé aux cochons ensuite : les truies reproductrices sont élevées en extérieur, dans de grands enclos. Des porcelets les suivent tranquillement et les animaux peuvent exprimer leurs comportements naturels, comme fouiller le sol par exemple. Chaque enclos possède un abri qui prend la forme d’une petite hutte. Des abris totalement exempts d’excréments ou d’urine. Comme le rappelle Kees : « Le porc est l’animal de ferme le plus propre. » Quand on leur en donne la possibilité, les cochons ne font jamais leurs besoins près de leur mangeoire ou dans leur aire de couchage.
Toilettes pour cochons : une avancée pour les cochons, les éleveurs et l’environnement
Kees Scheepens est toutefois conscient que les éleveurs ne sont pas tous disposés à élever leurs animaux en plein air. Pour améliorer le bien-être des animaux à l’intérieur des bâtiments, Kees Scheepens a imaginé des toilettes intelligentes pour cochons. Un travail mené en collaboration avec l’université de médecine vétérinaire de Hanovre.
Le but est de faire uriner et déféquer les porcs à deux endroits différents. Chaque enclos possède donc deux espaces distincts où les cochons peuvent faire leurs besoins. Pour ce qui est de la défécation, nul besoin d’entraînement, les porcs sont attirés par l’odeur et iront déféquer toujours au même endroit. Pour les encourager à uriner séparément, il a créé un système de récompense. Sous le plancher de l’urinoir se trouve un capteur : « Quand de l’eau ou de l’urine tombe, le capteur la détecte. Ce capteur est connecté à un système de récompense, qui laisse alors tomber une récompense » (bonbon ou noix).
Quels sont les avantages d’un tel système ?
Grâce à ces toilettes, la litière des animaux est propre en permanence. Surtout, ce système réduit de manière drastique la production d’ammoniac. Ce gaz se forme lorsque l’on mélange l’urine avec les matières fécales.
« L’ammoniac, c’est ce qui provoque l’odeur caractéristique qui émane des porcheries », explique notre éleveur. En élevage intensif, les planchers sont conçus pour que les déjections liquides et solides tombent à travers les lattes. Les animaux et les humains évoluent donc en permanence au milieu des émanations d’ammoniac. Les réduire améliore la qualité de l’air ambiant et donc le bien-être des travailleurs et des cochons eux-mêmes. « L’ammoniac est un gaz très irritant pour les muqueuses nasales, mais aussi pour la trachée et les poumons. Ça rend les animaux plus sensibles aux infections bactériennes ou virales », relate Kees. De surcroît, s’ils ont un odorat affaibli, les porcs ont tendance à moins bien se reconnaître entre eux, ce qui va favoriser l’agressivité. Des comportements anormaux se font jour comme mordre la queue de ses congénères. Dans un environnement sain, nul besoin donc de pratiquer des mutilations telles que la caudectomie (coupe de la queue).
L’ammoniac est en outre une source importante de pollution à l’azote des sols et de l’air. De surcroît, l’engrais issu du mélange d’urine et d’excréments est de moins bonne qualité. Au contraire, lorsque les déjections des porcs ne sont pas mélangées à l’urine, elles constituent chacune un précieux engrais qui peut utilement enrichir les terres cultivées.
Une solution pour remplacer les caillebotis
Après-guerre, lorsque les élevages intensifs se sont développés, il a été décidé de ne plus élever les porcs sur de la paille, pour réduire la charge de travail de l’éleveur. La norme est désormais l’élevage des porcs sur caillebotis, ces lattes de béton ajouré, qui recueillent dans des fosses le lisier (urines et déjections mélangées).
Welfarm œuvre pour que les porcs soient à nouveau élevés sur litière, avec un substrat organique tel que de la paille ou de la sciure. Les porcs peuvent ainsi satisfaire leurs instincts fouisseurs.
Avec les « toilettes intelligentes pour cochons » développées par Kees Scheppens, les lattes ajourées ne sont plus nécessaires, puisque les cochons apprennent à se soulager au « cabinet ». Ainsi, une litière de paille ou de sciure peut être offerte aux cochons, puisqu’elle n’est plus souillée par les déjections, qui sont recueillies aux « toilettes ». La charge de travail pour l’éleveur en est considérablement allégée, puisque la fréquence à laquelle la litière doit être renouvelée est considérablement réduite.
Pourquoi les caillebotis sont préjudiciables au bien-être animal ?
Les caillebotis sont préjudiciables au bien-être des porcs : les porcelets peuvent s’y coincer les onglons et ils n’offrent pas de zone de confort thermique aux porcs lors des basses températures, dans la mesure où le sol est à nu. De plus, le porc est un animal fouisseur et explorateur. Son groin très sensible lui permet de retourner la terre et de chercher sa nourriture. Lorsque les porcs sont élevés en bâtiment, sur du béton nu, leur environnement est très pauvre et les porcs ne peuvent donc pas exprimer ce comportement naturel.
Manger moins de viande pour une agriculture durable
La démarche générale de Kees Scheepens ꟷ des élevages respectueux du bien-être des animaux et répondant à leurs besoins ꟷ va de pair avec une remise en cause de la place prise par la viande dans notre alimentation. « Pour nos grands-parents, la viande était un produit de luxe », rappelle-t-il. Et elle doit le redevenir pour permettre de payer les producteurs en conséquence. « La viande est devenue un produit jetable, dont on ne voit plus la vraie valeur. »
Fin de l’élevage intensif aux Pays-Bas
Le gouvernement néerlandais a annoncé récemment un plan pour réduire de manière drastique le cheptel du plus important exportateur de viande d’Europe. Les sols et les eaux du pays sont fortement pollués à l’azote produit par les déjections des animaux d’élevage.
En mai 2019, la plus haute cour administrative des Pays-Bas avait jugé que l’État ne respectait pas ses engagements européens de réduction de cet excès d’azote, en particulier dans les zones naturelles vulnérables. Un plan d’action a été dévoilé début septembre 2021. Il prévoit de réduire de 30 % le cheptel estimé à plus de 100 millions de têtes de bovins, porcs et de volailles. Le 10 juin 2022, le gouvernement a précisé son plan, annonçant vouloir faire baisser les rejets d’azote jusqu’à 70% dans 131 zones-clés, la plupart proches de réserves naturelles et de terres protégées.
Si ce plan suscite l’hostilité d’une partie des éleveurs néerlandais, Kees Scheepens le soutient : « L’élevage industriel de porcs aux Pays-Bas est une impasse. »