Adoption de l’amendement Le Fur : une attaque frontale à la liberté d’informer sur la condition des animaux d’élevage

Welfarm dénonce un amendement bâillon qui vise clairement à entraver le travail des associations de protection animale.

Amendement anti lanceurs d'alerte
©Alphaspirit

Vendredi 25 octobre 2024, un amendement anti-lanceurs d’alerte a été adopté en séance plénière à l’Assemblée nationale. Ce texte met fin à l’avantage fiscal dont bénéficient les associations notamment si elles s’introduisent illégalement dans des élevages intensifs. Cet amendement avait pourtant été rejeté en commission des finances et avait fait l’objet d’un avis défavorable du Gouvernement.

Proposé par le député des Côtes-d’Armor Corentin Le Fur, l’amendement n°I-1185 à la loi de finance 2025 a été adopté dans un Hémicycle clairsemé à une très courte majorité – 95 voix contre, 97 voix pour, dont 73 voix du Rassemblement national.

Un texte qui fait suite, selon son rédacteur, à des plaintes de « professionnels de l’agriculture » qui « ne cessent d’alerter les pouvoirs publics et les parlementaires sur la recrudescence d’actes de malveillance envers les agriculteurs de la part d’associations activistes ».

Décourager le soutien financier pour étouffer les associations

Cet amendement vise clairement à entraver le travail des associations de protection animale et à les pénaliser si elles sont condamnées pour certaines de leurs actions. Il constitue une attaque directe à la liberté d’informer.

Il modifie le II de l’article 1378 octies du code général des impôts, qui permet à l’administration de suspendre les avantages fiscaux des associations au titre des dons, versements et legs lorsqu’une décision pénale définitive a été rendue au titre de l’une des infractions énumérées dans ce dispositif.

La liste des infractions pénales est ainsi élargie en visant :

  • l’entrave aux conditions de travail et à l’activité économique par discrimination ;
  • le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne sans son consentement ;
  • le fait de « squatter » un terrain appartenant à autrui ;
  • la destruction ou la menace de la destruction d’un bien par l’emploi d’un engin explosif ou incendiaire ;
  • la communication ou la divulgation de fausses informations dans le but de faire croire qu’une destruction, une dégradation ou une détérioration dangereuse pour les personnes va être ou a été commise ;
  • la provocation à commission d’infractions par tout moyen de communication ;
  • la diffamation.

Entrave au travail d’enquête des associations

Mi-octobre, Welfarm relayait une nouvelle enquête d’AWF/TSB sur la viande chevaline en provenance d’Argentine qui révèle de nombreuses maltraitances dans les centres de rassemblement et les abattoirs de ce pays d’Amérique du Sud. Une enquête réalisée, bien entendu, sans l’autorisation des abattoirs concernés, condition sine qua non pour documenter ce qui se passe réellement dans ces installations.

En effet, si des audits y sont réalisés par la Commission européenne, ces inspections sont annoncées à l’avance, ce qui permet aux abattoirs et aux centres d’engraissement de dissimuler de mauvaises conditions de détention et d’abattage. Les audits de 2022 n’ont ainsi révélé que peu de problèmes en matière de bien-être animal. Pourtant, les observations d’AWF/TSB en dehors des périodes d’audits ont révélé des nombreuses négligences et des mauvais traitements sur les chevaux détenus, preuve qu’il est parfois indispensable de s’introduire dans de telles installations pour savoir comment y sont traités les animaux.

Un texte qui favorise l’opacité dans les élevages et les abattoirs

En France, de nombreux cas de maltraitance ont été révélés dans les élevages intensifs et dans les abattoirs par les associations. Un travail nécessaire puisque, malgré les demandes répétées de Welfarm, la vidéosurveillance dans les abattoirs n’est toujours pas obligatoire. Pourtant, un rapport de la commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie de l’Assemblée nationale considérait dès 2016 le contrôle vidéo comme juridiquement possible et nécessaire pour prévenir les traitements cruels sur les animaux.

En 2023, en France, environ 90 abattoirs de boucherie étaient équipés en contrôle vidéo, sur 227 abattoirs de boucherie présents sur le territoire, selon la direction générale de l’Alimentation. Plus de 60 % de ces établissements sont donc dépourvus de systèmes de vidéosurveillance, et donc hors de contrôle en l’absence des services vétérinaires de l’État. Sans le travail des associations, impossible donc de savoir ce qui se passe à l’intérieur.

Une menace pour les lanceurs d’alerte

Concernant « l’entrave aux conditions de travail et à l’activité économique par discrimination », la promotion de la transition vers des élevages plus respectueux du bien-être animal voulue par Welfarm impose aux filières d’engager des transformations coûteuses pour les éleveurs. Ces derniers étant soumis à la concurrence rude d’un marché mondialisé, on peut imaginer que notre travail soit perçu comme une discrimination leur causant un préjudice financier.

Le rôle de lanceur d’alerte des associations est primordial, et il est gravement menacé par cet amendement. Welfarm demande donc la suppression de ce texte liberticide. En effet, le Sénat peut décider de supprimer cet amendement et le Gouvernement peut l’écarter en cas d’utilisation du 49.3. En cas d’adoption définitive, la constitutionnalité de cet amendement pourrait être remise en cause.