Enquête de Welfarm dans des centres d’engraissement espagnols : le triste sort de bovins français exportés

Welfarm est partie mener l’enquête dans le sud de l’Espagne, aux côtés des ONG Animal Welfare Foundation (AWF) et Animals International afin de révéler au grand public une pratique courante mais méconnue du grand public. Des milliers de jeunes bovins français sont envoyés en Espagne à fin d’engraissement avant d’être exportés vers des pays tiers (hors Union européenne) qui ne possèdent aucune législation de protection animale. Ils meurent dans ces centres d’engraissement (ou feedlots) ou sont expédiés sur des navires hors d’âge figurant sur une liste noire.

Une enquête en trois volets

Le premier volet de l’enquête aborde les terribles conditions de vie des bovins français dans les parcs d’engraissement (feedlots) espagnols dans la région de Murcie. Les images montrent même les cadavres de certains d’entre eux laissés à l’abandon à l’intérieur de la ferme. Le second revient sur les conditions de chargement et de transport des animaux à partir du port de Carthagène sur des cargos-poubelles hors d’âge à destination de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, dans des pays qui ont la plupart du temps une législation bien moins protectrice des animaux que la législation européenne, quand ils en ont une. Le dernier volet recueille le témoignage de plusieurs agriculteurs français qui ont envoyé pour la première fois leurs animaux en Espagne.

Des bovins des Pyrénées-Orientales, du Tarn, de l’Aude et de Corrèze retrouvés morts dans les feedlots espagnols

Parmi les cadavres d’animaux laissés à l’abandon dans les feedlots espagnols, Welfarm a constaté la présence de nombreux bovins français. Nous avons pu retracer leur parcours grâce aux données figurant sur leur boucle d’identification.

Des bovins des Pyrénées-Orientales, du Tarn, de l’Aude et de Corrèze ont ainsi été envoyés vers l’âge de 8 mois vers des feedlots espagnols pour y trouver la mort quelques mois plus tard.

471 000 bovins français exportés vers l’Espagne en 2021

D’une manière générale, les bovins nés en France et exportés sont dans leur grande majorité (90%) des « broutards », c’est-à-dire qu’il s’agit de jeunes animaux (jusqu’à 12 mois), qui ont été élevés avec leur mère au pâturage avant d’être sevrés vers 7 mois. D’après FranceAgriMer, en 2020, sur un total de 1,5 million de bovins exportés hors de France, on comptait 1,1 million de broutards.

D’après les chiffres des douanes, en 2021, 471 000 bovins ont été exportés spécifiquement vers l’Espagne (pour la reproduction, l’engraissement et la boucherie). Parmi eux, près de 85 200 broutards (animaux de plus de 160 kg et moins de 300 kg) et 34 000 jeunes bovins mâles et femelles (>300 kg), à destination de l’engraissement.

De jeunes bovins français dans un centre d'engraissement en Espagne.
Des bovins entassés dans un centre d’engraissement de la région de Murcie, dans le sud de l’Espagne.

« Les agriculteurs français ont été choqués par le terrible sort réservé à leurs animaux »

Adrienne Bonnet, responsable du Pôle Campagnes, Plaidoyer et Juridique de Welfarm : « Nous avons été choqués de voir des animaux nés sous la garde d’un éleveur français subir un tel sort en Espagne avant d’être expédiés vers des pays tiers. Les parcs d’engraissement espagnols représentent un danger sanitaire. Ils sont surpeuplés, les normes d’hygiène y sont médiocres, la nourriture ne correspond pas aux besoins des animaux. Beaucoup sont malades quand ils ne sont pas abandonnés morts sur place. Nous avons retracé le parcours des animaux morts. Les agriculteurs français ont été choqués par le terrible sort réservé à leurs animaux. Il est plus qu’urgent de mettre fin aux exportations d’animaux vivants. L’Allemagne vient de franchir le pas en interdisant les exportations à destination des pays tiers. La France aura-t-elle un jour ce courage ?»

Iris Baumgärtner, responsable de projet et vice-présidente d’Animal Welfare Foundation : « Notre dernier rapport indique que 43 des 78 navires exportant des animaux de France ou d’Espagne figurent sur la liste noire du Memorandum de Paris1. Les navires bétaillers sont les plus anciens et les plus dangereux du monde. Le chargement des animaux sur ces navires est cruel. Ils sont souvent violemment forcés à monter à bord, par exemple à l’aide d’aiguillons électriques. »

Gabriel Paun, directeur d’Animals International : « Au lieu d’assumer ses responsabilités et d’avoir le courage de régler ce problème, le ministère français de l’Agriculture cautionne que des bovins français subissent un parcours long et douloureux sans aucune transparence. Des animaux de toute la France sont transportés par camions vers des parcs d’engraissement en Espagne aux pratiques déplorables avant d’être embarqués sur des navires aux ports de Tarragone ou de Carthagène. Aucune loi ne protège les animaux dans les pays où ils sont exportés. Nous avons pu constater qu’ils y sont manipulés par des travailleurs mal formés et mal équipés et y subissent un traitement brutal et cruel. »

Bannir les exportations à destination des pays tiers est la seule option

Cette nouvelle enquête, après celles menées par Welfarm au port de Sète, prouve une nouvelle fois que la réglementation européenne sur le transport d’animaux vivants est insuffisante pour les protéger. Elle n’est de surcroît pas respectée par les autorités nationales des États membres de l’UE. De son côté, la Commission européenne a avoué elle-même qu’elle ignorait quel était le sort des animaux à bord des navires bétaillers qui sillonnent la Méditerranée2.

Des bovins sont chargés à bord d'un navire au port espagnol de Carthagène avant leur exportation vers des pays du Moyen-Orient.
Des bovins chargés à bord d’un navire au port de Carthagène avant leur exportation vers des pays tiers.

Face à ces abus, à l’absence totale de contrôles en mer, il est impératif de mettre fin aux exportations d’animaux vivants hors de l’Union européenne pour les remplacer par des exportations de carcasses. La France pourrait servir d’exemple en interdisant une telle pratique. Elle serait ainsi en avance sur la stratégie de la Commission européenne « De la Ferme à la Table » qui doit aboutir fin 2023 à une refonte de la législation sur la protection animale.

Une pétition pour mettre fin à cette pratique d’ici l’été 2023

Pour faire pression sur les pouvoirs publics et les instances européennes, Welfarm et les autres ONG appellent les citoyens à signer notre pétition appelant à l’interdiction des exportations d’animaux vivants à destination des pays tiers d’ici l’été 2023.

Retrouvez des images et des vidéos ICI

Les trois volets de notre enquête sont disponibles sur la plateforme de streaming Vakita (à compter du 23 novembre 2022 à 18h)

1 Le « Memorandum de Paris sur le contrôle des navires par l’État du Port » ou « Paris Memorandum of Understanding on Port State Control » ou MoU (pour « Memorandum of Understanding ») plus généralement dit « Mémorandum de Paris » est un accord international signé en 1982 qui regroupe 27 nations maritimes. Cet accord vise à améliorer la sécurité maritime par un meilleur contrôle des navires dans les ports au travers d’inspections à bord qui portent sur la conformité des navires aux conventions maritimes internationales. Chaque année, le Memorandum publie sur la base de ses inspections dans les ports trois listes : la liste blanche, grise et noire concernant la sauvegarde de la vie humaine en mer, la prévention des pollutions marines et le respect des normes de vie et de travail à bord des navires.

2 Rapport de synthèse effectué par la DG santé et sécurité alimentaire sur le bien-être des animaux exportés par voie maritime (Réf. DG(SANTE)/2019-6835)