Nouveau scandale à Sète : des animaux exportés depuis le port français, refusés par l’Algérie, passent trois semaines sur un navire hors d’âge

Malgré les scandales qui se multiplient depuis des années et les enquêtes des associations de protection animale, dont Welfarm, rien ne change à Sète. Le principal port français d’exportations d’animaux vivants à destination des pays tiers (hors Union européenne) est une nouvelle fois au cœur de la polémique. Des centaines d’animaux exportés depuis Sète se sont retrouvés bloqués pendant des jours au port d’Alger dans des conditions indignes. Le navire sur lequel ils ont été chargés doit retourner à son point de départ. Les taurillons seront euthanasiés.

Les exportations d’animaux hors de l’Union européenne sont sources de grandes souffrances.

Les autorités françaises n’auraient jamais dû donner leur accord

Le 2 septembre dernier, le navire bétailler Nader-A, battant pavillon togolais, quitte le port de Sète avec à son bord 789 taurillons d’environ 700 kg chacun. Destination : Alger.

À son arrivée le 4 septembre, les autorités algériennes refusent le déchargement des animaux en raison des risques sanitaires encourus. Les taurillons exportés vers l’Algérie ne sont pas accompagnés des documents certifiants qu’ils ne sont pas porteurs de la rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR)1, une maladie extrêmement contagieuse. En l’absence de certification, le transport des taurillons n’aurait jamais dû être approuvé par les autorités françaises au port de Sète. Aucun personnel du port d’Alger n’est autorisé à monter à bord du navire, ayant pour consigne de se tenir éloigné d’un potentiel foyer infectieux.

Dans ce cas de figure, le bateau doit retourner à son port d’origine. Mais la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) française aurait, selon nos informations, demandé l’euthanasie des animaux en Algérie. Elle a essuyé une fin de non-recevoir de la part des autorités locales.

Finalement, le Nader-A quitte le port d’Alger le 19 septembre, soit 15 jours après son arrivée. Destination : le port de Sète. Le jeudi 22 septembre en fin de journée, le navire bétailler était en mouillage aux abords du port français mais n’avait toujours pas accosté. Les animaux à bord seront euthanasiés. Motif invoqué ? Leur affourage avec du foin algérien lors du stationnement… un fourrage issu d’un pays où la fièvre aphteuse est présente. « Le risque de contamination est extrêmement minime, mais on ne peut l’écarter », a déclaré le gouvernement français à l’AFP.

Welfarm alerte les autorités

Face à l’urgence de la situation et aux souffrances infligées aux animaux, Welfarm a alerté les autorités. Dès le départ du bateau d’Alger vers Sète, elle a écrit au ministère de l’Agriculture, à la commissaire européenne à la Santé et à la Politique des consommateurs, Stella Kyriakides, ainsi qu’à plusieurs membres de l’Organisation mondiale de la Santé animale (OIE). Notre but était de mettre un terme à cette situation cruelle pour les animaux et d’éviter les scénarios catastrophes des navires Elbeik et Karim Allah. En 2021, ces deux bateaux étaient partis d’Espagne et s’étaient vu refuser l’accès aux ports de destination pour une suspicion de fièvre catarrhale. Les animaux avaient passé des mois à errer en mer Méditerranée, avant d’être tués à leur retour en Espagne.

Des animaux coincés sur un bateau hors d’âge pendant près de trois semaines dans des conditions déplorables

Après avoir été transportés jusqu’au port de Sète, les taurillons ont passé 15 jours sur le Nader-A à Alger. Si l’on ajoute à cela le temps des traversées de la Méditerranée, les animaux auront donc passé près de trois semaines à bord du navire bétailler. Plusieurs d’entre eux seraient morts. Les cadavres tout comme les déjections des animaux n’ont pas été évacués. Les conditions d’hygiène à bord sont donc catastrophiques. En raison de leur gabarit, ces taurillons ont des besoins (abreuvement, alimentation, espace) particulièrement importants qui ne peuvent être satisfaits dans la situation de promiscuité et d’attente insoutenable qui leur est imposée. 

Il est à rappeler que le Nader-A bat pavillon togolais, pays figurant sur la liste noire du Memorandum of Understanding de Paris2… en 67e position sur 68. Le Nader-A est en activité depuis 45 ans. Or, la navigation de n’importe quel navire devient risquée au bout de 12 ans seulement. À titre de comparaison, les navires de marchandises cessent de fonctionner en moyenne au bout de 20 ans, en raison des dangers qu’ils présentent d’un point de vue technique et structurel. Le navire a été inspecté pour la dernière fois le 3 mars dernier au port de Sète. À cette occasion, pas moins de 16 défaillances de sécurité ont été relevées, dont des déficiences multiples des dispositifs anti-incendie, d’évacuation d’urgence ou bien encore de ventilation.

Exporter des animaux sur des cargos-poubelles : une pratique courante au port de Sète

Sète est le principal port français d’exportation d’animaux vivants à destination de pays tiers (hors Union européenne) et le Nader-A n’est malheureusement pas un cas isolé. Le mois dernier, Welfam faisait le même constat sans appel : le port de Sète a beau avoir fait peau neuve en 2020 en se dotant d’un hangar destiné à accueillir les animaux avant leur chargement sur les navires, rien n’a changé concernant le transport d’animaux vivants. Ce sont toujours les mêmes cargos-poubelles qui viennent y charger les animaux. Entre 2017 et 2020, la moyenne d’âge des navires était de 42 ans. Sur la même période, 85% d’entre eux étaient classés sur la liste noire du Mémorandum de Paris.

Des millions d’animaux vivants exportés chaque année de France et de l’Union européenne

Chaque année, les pays européens exportent des millions d’animaux vivants en dehors de l’UE, principalement au Proche et au Moyen-Orient.

En 2018, à elle seule, la France a exporté 69.625 bovins et 2.323 ovins et caprins3. En 2020, elle était même en tête pour les exportations européennes de bovins4. À l’échelle de l’UE, 626.000 bovins et 2,2 millions de moutons et chèvres ont été exportés par mer en 2018 depuis l’UE5.

La Méditerranée, un territoire hors de tout contrôle synonyme de souffrances pour les animaux

Que se passe-t-il à bord des navires bétaillers qui sillonnent la Méditerranée ? Dans quel état les animaux arrivent-ils à destination ? Combien meurent à bord ? Même la Commission européenne avoue l’ignorer : « Ni les États membres ni la Commission ne disposent d’informations ou de statistiques sur l’état de santé et le bien-être des animaux en mer », reconnaissait-elle dans un rapport publié en mai 20206. Déplorant qu’il n’existe aucune donnée sur le taux de mortalité en mer en Europe, la Commission constatait que « la majorité des États membres ne reçoit aucun retour du pays de destination sur l’état des animaux à l’arrivée, ni du transporteur, ni du capitaine, ni de l’exploitant du navire ». Autrement dit, une fois à bord, les animaux disparaissent des radars.

Remplacer le transport d’animaux vivants par celui des carcasses

Face à ces abus, à l’absence totale de contrôles en mer, il est impératif de mettre fin aux exportations d’animaux vivants hors de l’Union européenne pour les remplacer par des exportations de carcasses. Le calvaire des animaux vers les pays tiers peut durer plusieurs jours, alterner voyages par route et par mer. Les pays européens n’ont absolument aucun contrôle sur les conditions de transports et les pays destinataires ont la plupart du temps une législation bien moins protectrice des animaux que la législation européenne, quand ils en ont une.

La législation européenne doit prendre en compte les attentes des citoyens

À la fin de 2021, la Commission européenne a mené une consultation publique dans le cadre de sa stratégie dite « De la Ferme à la Table ». Cette stratégie vise à revoir l’ensemble de la législation européenne sur la protection animale à compter de fin 2023. Les résultats de cette consultation témoignent des préoccupations croissantes des citoyens concernant le bien-être des animaux d’élevage à toutes les étapes de leur vie (élevage, transport, abattage)7. Concernant les exportations d’animaux vivants à destination des pays tiers, 94% des Européens sont favorables à leur interdiction. La Commission européenne se doit de répondre à leurs attentes et inclure cette interdiction dans la future législation. Il est temps de mettre fin au martyre des animaux en Méditerranée.

Mobilisée contre le transport d’animaux en période de fortes chaleurs depuis de nombreuses années, l’association Welfarm fait donc à nouveau appel au gouvernement dans le cadre de sa campagne « Chaud Dedans ! ». Cette enquête témoigne en effet encore de la nécessité :

ꟷD’interdire les transports d’animaux vivants par plus de 30°C ;

ꟷD’interdire les exportations à destination des pays tiers de l’Union européenne.

Pour plus d’informations sur la campagne Chaud Dedans ! et pour signer la pétition, rendez-vous ICI

1 La rhinotrachéite infectieuse bovine est l’affection qui touche essentiellement les bovins, se traduit par une atteinte des voies respiratoires supérieures, mais peut éventuellement prendre la forme d’encéphalites (veaux), de conjonctivites, d’avortements et de métrites. L’IBR n’est pas transmissible à l’homme.

2 Le « Memorandum de Paris sur le contrôle des navires par l’État du Port » ou « Paris Memorandum of Understanding on Port State Control » ou MoU (pour « Memorandum of Understanding ») plus généralement dit « Mémorandum de Paris » est un accord international signé en 1982 qui regroupe 27 nations maritimes. Cet accord vise à améliorer la sécurité maritime par un meilleur contrôle des navires dans les ports au travers d’inspections à bord qui portent sur la conformité des navires aux conventions maritimes internationales. Chaque année, le Memorandum publie sur la base de ses inspections dans les ports trois listes : la liste blanche, grise et noire concernant la sauvegarde de la vie humaine en mer, la prévention des pollutions marines et le respect des normes de vie et de travail à bord des navires.

3 Rapport d’information déposé par la commission des Affaires européennes sur la protection du bien-être animal au sein de l’Union européenne, présenté par Typhanie Degois, 16 septembre 2020.

4 France AgriMer, « Les performances à l’exporte des filières agricoles et agroalimentaires, situation en 2020 »

5 Voir rapport susmentionné

6 Rapport de synthèse effectué par la DG santé et sécurité alimentaire sur le bien-être des animaux exportés par voie maritime (Réf. DG(SANTE)/2019-6835)

7 Commission européenne, Factual summary report of the online public consultation in support to the fitness check and revision of the EU animal welfare legislation (15 octobre 2021 – 21 janvier 2022)