Élevage intensif : l’UE en passe d’accorder 100 millions d’euros au géant du poulet ukrainien MHP

Le 22 mai prochain, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), dont la France est l’un des principaux actionnaires, accordera très probablement un prêt de 100 millions d’euros au mastodonte de l’agroalimentaire ukrainien MHP. Auteur d’un montage économique honteux lui permettant de contourner la politique des quotas européens sur la poitrine de poulet, MHP n’a, semble-t-il, guère plus d’égards pour les poulets qu’il exporte. WELFARM adresse ce jour une lettre au ministre de l’Économie : l’Ukraine doit respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de libre-échange signé avec l’Union européenne, y compris en matière de bien-être animal.

MHP : cela ne vous dit peut-être rien, mais cette entreprise ukrainienne, basée fiscalement à Chypre et détenue par l’oligarque milliardaire Loury Kosiouk, est au cœur d’une vaste manipulation. Son objectif ? Vendre un maximum de viande (de poulet principalement) sur le marché européen, en payant le moins de droit de douane possible. Pour ce faire l’entreprise, qui détient déjà plus de 93% des exportations ukrainienne de viande de volaille, a mis en place un stratagème honteux pour contourner les taxes sur la poitrine de poulet. Comment ? En laissant deux os (ceux de l’humérus) attachés à la poitrine. Ce morceau de viande, désormais inclassable, rentre alors dans la catégorie entièrement libéralisée des « autres coupes de poulet ». Il suffit ensuite à l’usine achetée par MHP aux Pays Bas d’enlever les deux os en question pour que la poitrine de poulet soit largement redistribuée en Europe.

Cet abus de confiance a eu un impact énorme sur le marché européen et a ainsi contraint l’UE à revoir ses quotas à la hausse. En échange de la promesse de MHP – pour le moment non suivie d’effets – de mettre fin à cette manœuvre, l’Europe a accepté d’augmenter significativement les quotas de poitrine de poulets ukrainienne pouvant être mis sur le marché passant ainsi de 20 000 à 70 000 tonnes.

Mais c’est lorsque l’on regarde les conséquences de cette affaire sur les conditions d’élevage de millions de poulets que l’on se rend compte véritablement de l’ampleur de la situation. En effet, l’Ukraine n’applique pas, à ce jour, les réglementations européennes de protection animale. Les poulets de MHP peuvent donc être exportés sur le marché communautaire sans aucune garantie pour les poulets en termes de densité, d’accès à la litière ou de lumière en bâtiment, par exemple. Opaques, les fermes usines de MHP sont fermées aux ONG de protection animale, ainsi qu’aux experts indépendants depuis plus de deux ans. Au-delà de la communication officielle de MHP, les rares éléments qui filtrent ne jouent guère en la faveur de l’entreprise : dans les bâtiments énormes détenus par MHP, les conditions de vie des poulets sont telles qu’elles ont fait l’objet d’une remarque de la part de la Banque européenne de reconstruction et développement (BERD) dans son rapport de 2010, qui accompagnait le premier prêt effectué par la banque à MHP.

De l’argent public européen qui soutient le développement de fermes-usines

Mais, en dépit de cette remarque et sans garantie d’amélioration de la situation, cette même BERD a décidé par la suite de continuer à prêter à MHP, afin que l’entreprise développe son activité. Alors même qu’il est inscrit dans la politique de cette banque publique – dont l’un des actionnaires principaux est l’État français – que les bénéficiaires doivent respecter des exigences strictes sur le plan du bien-être animal, la BERD s’apprête même à octroyer un nouveau prêt de 100 millions d’euros, ce mercredi 22 mai 2019, alors que l’entreprise n’a fourni à ce jour aucune preuve du respect de la législation européenne en matière de protection des poulets.

Du poulet ukrainien déjà commercialisé en France sans respect des normes européennes de protection animale

Au-delà du cas particulièrement scandaleux de MHP, WELFARM et la fédération européenne Eurogroup for animals pointe du doigt la nature de l’accord de libre-échange avec l’Ukraine sur le plan du bien-être animal. En effet, en contrepartie de l’ouverture au marché européen pour ses produits, Kiev s’était engagé à adopter une législation nationale répondant aux standards européens, y compris sur le plan de la protection des animaux d’élevage. Or, force est de constater que depuis l’entrée en vigueur de l’accord d’association, aucune réglementation en matière de bien-être animal n’a été adoptée en Ukraine. Pire encore, des rumeurs circulent actuellement, selon lesquelles la loi de protection animale envisagée par le gouvernement ukrainien ne couvrirait que 95 % des normes européennes de protection animale et autoriserait des délais d’application extrêmement longs.

Alors que nous attendons toujours de l’Ukraine qu’elle renforce la protection des animaux dans ses élevages, des tonnes de viande produite dans des conditions ne respectant aucunement les règles européennes de protection animale inondent déjà le marché européen depuis la signature de l’accord de libre-échange en 2016. En trois ans, les importations de viande de poulet sont ainsi passées de 35 529 à 105 173 tonnes, celles d’œufs et ovoproduits de 2 122 à 4 250 et celles de produits laitiers de 1 133 à 4 286 tonnes.

Face à cette situation, WELFARM adresse aujourd’hui une lettre ouverte au ministre de l’Économie Bruno Le Maire l’exhortant à :

– défendre auprès de la Commission européenne et de ses partenaires ukrainiens, l’adoption rapide d’une nouvelle législation nationale en matière de bien-être animal avec une période de transition courant au maximum jusqu’en 2022. Cette prise de position serait cohérente avec la Stratégie de la France pour le bien-être des animaux 2016-2020, dans laquelle il est explicitement inscrit la volonté de la France de « valoriser les avancées françaises et européennes en matière de bien-être animal auprès des instances internationales et défendre lors des négociations avec les pays tiers, une politique visant un plus grand respect de l’animal par nos partenaires »

– oeuvrer auprès de la BERD pour qu’aucun prêt ne soit accordé si le respect des règles de protection animale équivalente à celles de l’UE n’est pas garanti. 

Ne restons pas spectateur de cette situation !

Ce n’est pas parce que tout ceci se passe au niveau européen que nous sommes impuissants. Il est temps de donner un signal fort aux politiques en donnant votre voix à celles et ceux qui présentent un programme ambitieux en matière de protection animale. Cette action est possible, notamment grâce au site Voteforanimals

En tant que consommateur, vous pouvez également agir en demandant systématiquement aux établissements de restauration collective que vous fréquentez la provenance de la viande de poulet servie. En effet, les consommateurs étant considérés comme peu vigilants quant aux conditions d’élevage des animaux, lorsqu’ils mangent en dehors de leur domicile, c’est principalement dans ces lieux que sont commercialisées les produits animaux peu chers provenant d’élevages peu regardant quant à la manière dont les animaux sont traités. Il ne tient qu’à nous, consommateurs, de changer cette tendance et de montrer que le bien-être animal est aussi un élément à prendre en compte dans les approvisionnements des cantines.

 

Edit (24/05/2019) : Il semblerait que la mobilisation de la société civile et des ONGs de protection animale ait pris effet : la décision de la Banque est reportée au 10 juillet.

Edit (09/07/2019) : Le vote pour l’accord du prêt à l’entreprise MHP aura lieu ce mercredi 10 juillet. La BERD pourrait bien accorder 100 millions d’euros au géant du poulet ukrainien. Et ce, alors que l’on ignore si ses produits respectent les normes européennes de protection animale.

Edit (10/07/2019) : La BERD a repoussé une deuxième fois le prêt demandé par MHP. La décision devrait être rendue en octobre 2019.

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