Élevages de saumons en RAS : la communication des entreprises face à la réalité

Trois projets d’élevages hyper-intensifs de saumons atlantiques menacent de voir le jour en France. Des installations terrestres en circuit fermé qui ne garantissent pas un niveau de bien-être satisfaisant pour les poissons. Pourtant, les entreprises porteuses de ces projets mettent en avant des bénéfices notamment pour les poissons, pour l’environnement. Welfarm a analysé les arguments de ces entreprises et vous propose d’y voir plus clair.

Photo d’illustration. Vidima Studio MAX

Les porteurs de projets d’élevages de saumons en circuits recirculés (RAS) ne manquent pas d’arguments pour justifier l’implantation de ces fermes-usines en France.

Pourtant les avantages avancés par ces entreprises sont loin d’être évidents et ressemblent souvent à une simple stratégie commerciale destinée à « vendre » ces projets au grand public et aux collectivités locales.

Dans cet article, nous allons reprendre les arguments des entreprises en faveur du développement d’élevages en RAS et les confronter à la réalité des connaissances scientifiques actuelles.

1. Des élevages respectueux du bien-être des saumons ?

« Le bien-être animal sera au centre de notre projet. D’abord, par conviction et ensuite par la nécessité de proposer un produit optimal au consommateur. Un saumon qui aura été stressé sera un saumon de mauvaise qualité. Nous nous engageons à contrôler ses conditions de vie tout au long de leur croissance, avec un personnel qualifié et une surveillance vétérinaire renforcée. Pour assurer le bien-être des saumons nous serons extrêmement attentifs à la qualité de l’eau, à l’alimentation, aux comportements individuels et collectifs ainsi que la densité de saumons au sein de nos bassins. » Pure Salmon France, sur le site Internet de l’entreprise.

Performance zootechnique ne signifie pas bien-être animal

« Un saumon qui aura été stressé sera un saumon de mauvaise qualité » : il y a ici confusion entre les notions de performances zootechniques, de performances technico-économiques et de bien-être animal.

Certes, dans les cas extrêmes, le mal-être des animaux conduit à des problèmes de santé réduisant les performances zootechniques ce qui impacte les performances économiques, mais, la plupart du temps, le lien de causalité n’est pas si évident :

– le mal-être psychique provoqué, par exemple, par l’impossibilité d’exprimer certains comportements naturels peut parfois survenir sans avoir de fortes incidences sur les performances zootechniques ;

– les gains économiques permis par les économies d’échelle qui se font généralement au détriment du bien-être des animaux, comme les fortes densités de peuplement, peuvent compenser économiquement des baisses modérées de performances zootechniques ;

Qualité de l’eau

« Nous serons extrêmement attentifs à la qualité de l’eau » : si les paramètres de l’eau sont plus contrôlables en RAS, certains paramètres sont difficiles à maintenir à un niveau optimal pour le bien-être des saumons dans ce type d’élevage.

Des risques existent pour le sulfure d’hydrogène, les nitrates, les métaux lourds, les hormones stéroïdiennes relâchées par les poissons, le CO2, la saturation totale en gaz dissous, les matières en suspension, etc.

Certains paramètres de l’eau ne peuvent être améliorés que par une augmentation du taux de renouvellement de l’eau, faible en RAS. D’autres pourraient en théorie être maintenus à un niveau optimal, mais il existe des problèmes fréquents en pratique en raison d’équipements de gestion de la qualité de l’eau souvent sous-dimensionnés.

À noter également que les seuils de qualité de l’eau acceptables au niveau des performances zootechniques sont moins exigeants que les seuils optimaux pour le bien-être des saumons.

Fortes densités de peuplement

« Comportements individuels et collectifs » : respecter les comportements naturels des saumons en les élevant à des densités élevées dans des bassins paraît difficilement possible étant donné que les saumons sauvages sont des animaux solitaires et territoriaux lorsqu’ils vivent en rivières. En mer, si les saumons deviennent plus sociaux, ces poissons migrateurs peuvent parcourir jusqu’à 100 km par jour. Dès lors on peut légitimement se poser la question de leur bien-être dans des bassins exigus.

« Les densités de biomasse sont maintenues à des niveaux auxquels les poissons se sentent à l’aise, tout en laissant suffisamment d’espace pour que les poissons ne soient pas surpeuplés. » Local Ocean, sur leur site Internet.

Les densités de saumons annoncées par les entreprises qui souhaitent installer des élevages RAS en France vont de 40 à 80 kg de saumons par m3 d’eau.

Or, en cages marines en élevage conventionnel, les densités de peuplement sont comprises entre 15 et 25 kg/m3. Le règlement bio UE pour les saumons limite pour sa part les densités à 20 kg/m3 en bassins et à 10 kg/m3 en cages marines.

Welfarm recommande de ne pas dépasser 20 kg/m3 en bassins et à 10 kg/m3 en cages marines. En effet, selon un rapport du Comité consultatif de l’aquaculture (en anglais), « les études de laboratoire aident à identifier 10-20 kg/m3 comme seuil à partir duquel le bien-être peut commencer à se détériorer ». Et pour Lynne Sneddon, biologiste à l’Université de Gothenburg en Suède, interrogée par Reporterre, « ces densités de peuplement sont insensées. Les systèmes RAS ne devraient pas dépasser 20 kg/m3. C’est ce qui est pratiqué dans d’autres formes d’aquaculture, et essayer d’augmenter cela juste pour le profit est à mon sens contraire à l’éthique ».

2. Les élevages de saumons en RAS vont sauver les océans

Les défenseurs du RAS présentent souvent ce type d’élevage comme une solution pour sauver les salmonidés sauvages menacés – entre autres –  par les impacts délétères des cages marines.

En effet ces élevages ont des impacts négatifs sur les populations de salmonidés sauvages qui vivent à proximité à travers trois mécanismes principaux :

– échanges de pathogènes entre poissons d’élevage et poissons sauvages (transmission de maladies) ;

– prolifération des poux de mer due à la concentration des saumons dans les fermes. Les poux de mer sortent des cages et parasitent les poissons sauvages à proximité, c’est en particulier un problème au moment de la dévalaison car les smolts (jeunes saumons) de petite taille peuvent succomber face à la charge parasitaire ;

– pollution génétique. En cas d’échappée, les saumons d’élevage peuvent se reproduire avec les saumons sauvages et leur transmettre leur patrimoine génétique. Or la génétique des saumons d’élevage n’est pas la même que celle des saumons sauvages, ce qui aboutit d’une part à une diminution de la diversité génétique au sein des populations sauvages et à la transmission de caractéristiques qui diminuent les capacités d’adaptation des saumons sauvages à leur milieu.

Les élevages en RAS ne feront pas disparaître les cages marines

Pour Welfarm, la seule façon de protéger les salmonidés sauvages des impacts délétères des élevages en cages marines est d’améliorer les pratiques au sein de ces élevages et de réduire leur nombre. Or ces deux mesures sont indépendantes de la création d’élevages en RAS : les bénéfices de l’élevage en RAS pour les salmonidés sauvages ne seraient vraiment justifiés que si on fermait un élevage en cages marines à chaque fois que l’on créait un élevage en RAS. En pratique, dans un contexte de croissance de la demande mondiale, les nouveaux élevages en RAS viennent s’additionner à la production en cages marines déjà existante et non pas s’y substituer.

C’est encore moins le cas en France, puisque la production de saumons en cages marines est anecdotique dans notre pays. De plus, produire des saumons en RAS en France n’empêchera pas les producteurs historiques, comme l’Ecosse ou la Norvège, de continuer à exporter, que ce soit en France ou dans d’autres pays, et ne diminuera donc pas l’élevage en cages marines.

La production locale risque donc de s’ajouter aux importations, et il est aussi probable qu’une partie de cette production soit destinée à l’exportation. Le contexte mondial est en effet celui d’une croissance continue de la demande et de la production de saumons. La production norvégienne a ainsi été multipliée par 14 entre 1990 et 2020, et le pays a l’ambition de tripler sa production de saumon d’ici à 2050 par rapport à 2020 selon un rapport d’Ernst & Young.

L’élevage de poissons carnivores contribue à la surpêche

Même si une production locale de saumons permettait à la France de cesser d’importer du saumon norvégien, le pays scandinave exporterait vers d’autres pays. Produire en France ne résoudra donc pas le problème des élevages étrangers : la seule solution à ces problématiques serait l’amélioration des pratiques des élevages en cages marine et la diminution de leur nombre.

Les entreprises promotrices de l’élevage en RAS présentent parfois la pisciculture comme une solution à la surpêche. Or l’élevage de poissons carnivores comme les saumons implique de pêcher chaque année des milliards de poissons pélagiques pour fabriquer les farines et huiles de poissons nécessaires à leur alimentation (lire notre article sur la pêche minotière).

3. Les élevages de saumons en RAS sont indispensables à la souveraineté alimentaire

« Développer une filière d’élevage de saumon en France est donc un enjeu de souveraineté alimentaire. » FAQ de Pure Salmon sur leur site Internet

Il convient tout d’abord de savoir quel sens on donne à la souveraineté alimentaire. Ce concept a été développé dans les années 1990 et ne se limite pas à la sécurité alimentaire. La souveraineté alimentaire intègre des dimensions éthiques : droits des paysans et droit à l’alimentation ; démocratie alimentaire ; fin des pratiques de dumping alimentaire fragilisant les paysans dans les pays tiers ; rééquilibrage des échanges commerciaux au profit d’un commerce plus juste ; réduction de la dépendance aux intrants importés…

La souveraineté alimentaire est définie comme un droit international qui laisse la possibilité aux populations et aux États de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leurs populations, sans pour autant nuire aux populations des autres pays.

Dès lors, prélever des poissons dans les eaux côtières des pays du Sud global pour fabriquer farines et huiles de poissons nécessaires à l’alimentation des poissons élevés et consommés dans les pays développés n’est pas compatible avec la notion de souveraineté alimentaire.

Une production dépendante des importations

De plus, peut-on vraiment parler de souveraineté alimentaire pour une production dépendante d’importations pour l’aliment des saumons ? En Norvège, en 2020, 91,7 % de l’aliment des saumons était importé. Des importations de poisson fourrage, mais également de soja brésilien souvent issu de la déforestation). Il semble probable que la même chose se produise en France : Pure Salmon annonce déjà son intention d’utiliser du soja Brésilien.

Plutôt que de produire toujours plus pour satisfaire une consommation en hausse constante, Welfarm encourage à la réduction de la production et de la consommation de poissons carnivores, et se positionne contre la création de nouveaux élevages aquacoles d’animaux appartenant à des espèces carnivores ou à dominante carnivore.

L’association recommande en outre de privilégier la consommation de poisson issu de l’élevage biologique et surtout de privilégier des poissons à dominante herbivore issus de l’élevage extensif, comme la carpe.

Une pétition est en ligne pour dire non aux projets d’élevages de saumons en RAS en France.