20 octobre à 10h45, non loin de la frontière franco-allemande. Alertée par les enquêteurs d’AWF, la police de la route arrête un camion sur une aire d’autoroute. À son bord, 155 veaux, dont les plus jeunes ont à peine deux semaines. Parti la veille d’un centre de rassemblement situé au nord-est de Varsovie (Pologne), le camion a roulé toute la nuit, parcourant d’une traite près de 1500 km. Ces très jeunes veaux qui n’ont pas été nourris ou abreuvés depuis plus de 17 h lèchent désespérément les barreaux du camion. D’autres essayent de téter leurs petits congénères… Leurs meuglements de détresse couvrent le bruit des voitures. Et leur calvaire est loin d’être fini : une fois arrivés au poste de contrôle de Soppe-le-bas, près de Mulhouse, il leur restera encore 1 000 km à parcourir pour rejoindre l’Espagne, où ils seront être engraissés et abattus.
Ces veaux sont des « sous-produits » de l’industrie laitière : des veaux mâles qui ne produisent pas de lait ou des femelles qui ne serviront pas au renouvellement du cheptel. En 2015, 1,3 million de veaux non sevrés ont ainsi été transportés entre les pays européens. La majorité part d’Allemagne, de France, de Pologne ou d’Irlande, pour être engraissée notamment aux Pays-Bas, en Italie ou en Espagne. Et la France n’est pas en reste : en 2017, elle a exporté pas moins de 235 000 veaux de moins de 80 kg, dont 95% à destination de l’Espagne.
Les enquêteurs ont suivi le camion toute la nuit, traversant successivement la Pologne puis l’Allemagne. Le camion s’est seulement arrêté quelques minutes toutes les 4 h, pour changer de conducteur. La réglementation européenne 1/2005 sur le transport d’animaux vivants stipule pourtant que les veaux non sevrés doivent être nourris toutes les 9 h, avec une « alimentation adaptée à leur âge », autrement dit du lait tiédi ou un substitut de lait. Comme il est techniquement impossible de nourrir de si jeunes veaux à bord d’un camion, les conducteurs devraient faire une pause toutes les 9 h pour décharger les animaux et les nourrir à la main… Un sérieux manque à gagner qui les pousse à faire la route d’une traite, en totale violation de la réglementation.
Lors du contrôle de police, le chauffeur met en route le système d’abreuvement. Assoiffés, les veaux tentent d’y boire, mais en vain : ces abreuvoirs en métal sont conçus pour les porcs, et ils ne parviennent pas à les actionner. L’eau froide qui s’en échappe serait de toute façon dangereuse pour de si jeunes animaux et pourrait causer des diarrhées. En inspectant le camion, les enquêteurs constatent qu’un des veaux, visiblement exténué, peine à se lever. Plusieurs d’entre eux souffrent d’écoulement du nez ou des yeux. Le plafond est si bas que les plus grands le touchent pratiquement avec leur dos. Leurs boucles d’identification fixées à leurs oreilles indiquent que ces animaux viennent de Pologne ou de Lituanie. Ils avaient donc déjà subi de longues heures de transport avant d’embarquer à bord de ce camion…
Selon les informations communiquées par la police, le tachygraphe (appareil embarqué censé enregistrer le temps de conduite) indique que le camion a effectué une pause d’une heure au bout de 9h, comme l’exige la réglementation. Le conducteur l’a donc probablement manipulé pour dissimuler son infraction. Il écopera d’une lourde amende, mais sera autorisé à reprendre la route, dans l’intérêt des animaux. Les enquêteurs le suivront encore sur 200 km, jusqu’au poste de contrôle de Soppe-le-Bas, où les veaux seront enfin déchargés et nourris. Ils auront passé 22 h sans manger ni boire. Dès le lendemain, ils repartiront pourtant vers l’Espagne. A peine nés et séparés de leur mère, ces veaux auront passé 36 heures enfermés dans un camion. Tout cela pour être engraissés et abattus à l’autre bout de l’Europe.
Les enquêtes menées ces dernières années arrivent toutes au même constat : durant les longs transports, la réglementation 1/2005 concernant le nourrissage des veaux non sevrés est systématiquement violée. Alimenter des veaux non sevrés durant le transport est techniquement impossible. Les transporter plus de 8 heures est donc obligatoirement source de souffrance. WELFARM demande l’interdiction de transporter les veaux non sevrés au-delà de 8 heures.