Des cargos bétaillers qui déversent leur lisier en zone protégée, jettent les cadavres par-dessus bord et participent au trafic de drogue : la méditerranée est devenue une zone de non-droit grâce à laquelle l’Europe exporte chaque année plus de 3 millions de bovins, ovins et caprins.
Mai 2020. Les douanes espagnoles interceptent deux cargos bétaillers : le F. M. Spiridon, agréé en France et le Neameh, agréé en Roumanie. Ces navires en provenance d’Amérique du Sud transportent chacun 5 000 bovins et, très probablement, de la cocaïne. Ce sont pourtant des cadavres en décomposition et des animaux squelettiques pataugeant dans leurs excréments que les policiers vont découvrir à bord. Les émanations d’ammoniac sont si fortes qu’ils doivent s’équiper de bouteilles à oxygène. Même les chiens renifleurs sont mis en déroute. La planque idéale pour des stupéfiants. Le Neameh rejoindra finalement l’Égypte. À l’arrivée, tous les cadavres avaient disparu… Probablement balancés par-dessus bord, au beau milieu de la Méditerranée.
Un animal se blesse ou meurt à bord ? Peu importe, personne ne fait le compte
Que se passe-t-il à bord des navires bétaillers qui sillonnent la méditerranée ? Dans quel état les animaux arrivent-ils à destination ? Combien meurent à bord ? Même la Commission européenne l’ignore : « Ni les États membres ni la Commission ne disposent d’informations ou de statistiques sur l’état de santé et le bien-être des animaux en mer », constate-t-elle dans un rapport publié en mai, après une enquête de deux ans en Europe et des audits réalisés en Espagne, Roumanie, Slovénie et Croatie. Déplorant qu’il n’existe aucune donnée sur le taux de mortalité en mer en Europe, la Commission constate que « la majorité des États membres ne reçoit aucun retour du pays de destination sur l’état des animaux à l’arrivée, ni du transporteur, ni du capitaine, ni de l’exploitant du navire ». Autrement dit, une fois à bord, les animaux disparaissent des radars. Les exportateurs sont censés respecter le Règlement protégeant les animaux en cours de transports jusqu’à destination, c’est-à-dire jusqu’aux abattoirs ou aux centres d’engraissement situés au Liban, au Maroc ou en Algérie. Mais pourquoi le feraient-ils, puisqu’ils ne sont soumis à aucun contrôle ?
Des cadavres qui s’échouent, de plus en plus nombreux, sur les plages
Les animaux qui meurent à bord des cargos seraient ainsi jetés à la mer, tout comme le lisier. Une pratique illégale puisque la Méditerranée est classée zone protégée par la convention de Marpol (1). Ce n’est pas un hasard si, rien qu’en avril, trois carcasses de bovins se sont échouées sur les plages de Majorque et neuf en Israël. La vidéo diffusée ce jour par Welfarm montre des dizaines de cas similaires recensés chaque année sur les plages d’Italie, de Grèce, de Chypre ou du Liban. En novembre, 14 600 moutons ont même péri noyés à la suite du chavirement du Queen Hind, en Roumanie. Dans son rapport, la Commission pointe du doigt les inspections bâclées des bateaux, autorisés à partir quel que soit leur état : « Les vétérinaires sont soumis à une forte pression de la part des exportateurs pour approuver les expéditions (…) Lorsque l’inspection d’un navire reflétait des carences, il était tout de même autorisé à charger des animaux. »
Au port de Sète, 85 % des navires bétaillers sont classés sur liste noire
Qu’en est-il en France ? La Commission n’a pu auditer le port de Sète en avril, en raison du Covid-19. Le hangar du port bétailler a fait peau neuve en 2019, mais ce sont toujours les mêmes bateaux-poubelles qui viennent y charger des animaux. Moyenne d’âge : 42 ans, soit 10 de plus que pour les cargos de marchandises. 85 % des navires ayant chargé des animaux à Sète depuis trois ans sont classés sur liste noire par le Mémorandum de Paris, c’est-à-dire qu’ils présentent un risque élevé en matière de sécurité maritime. Quatre d’entre eux ont d’ailleurs été placés en détention pour infraction en 2019 (2). Que les animaux partent de Sète ou de Roumanie, ils subissent tous les mêmes sévices de l’autre côté de la Méditerranée. Ils sont frappés, ligotés, suspendus encore conscients et ont la gorge cisaillée avant de mourir dans une longue agonie. Les exportateurs le savent, pourtant ils continuent d’y envoyer plus de 150 000 bovins et ovins chaque année via le port de Sète, avec la bénédiction des autorités françaises.
Une stèle déposée à Sète le 14 juin pour la Journée internationale contre les longs transports
Dans une lettre cosignée avec L214, la Fondation Brigitte Bardot, CIWF et la LFDA, Welfarm renouvelle donc sa demande adressée en 2019 au Premier ministre, afin de suspendre les exportations d’animaux vers les pays tiers. La France n’ayant aucun contrôle sur les conditions de transport des animaux hors d’Europe, elle enfreint le Règlement (CE) No 1/2005 en y exportant des animaux. Une pétition ayant récolté plus de 55 000 signatures est déjà en ligne sur action-transports.fr. Le 14 juin, à l’occasion de la Journée internationale contre les longs transports, Welfarm se rendra à Sète pour y déposer une stèle en mémoire des animaux victimes du transport maritime. Rendez-vous sur la plage du Lido, à Sète, le 14 juin de 10 heures à midi.
(1) Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires comprenant des règles visant à prévenir et à réduire au minimum la pollution due aux navires.
(2) Calculs effectués selon les données de MarineTraffic, sur la base de tous les cargos ayant chargé des animaux au port de Sète entre le 1er janvier 2017 et le 31 janvier 2020.