Régime des ICPE : une régression réglementaire au service de l’élevage intensif

L’article 3 de la loi « Duplomb » facilite l’installation et l’agrandissement des élevages intensifs classés ICPE en augmentant les seuils au-delà desquels une autorisation environnementale est nécessaire. Dans le même temps le texte entend limiter la consultation du public préalable au lancement de ce type de projets. Il s’agit d’un recul historique en matière de protection du bien-être animal et de l’environnement. Cette régression réglementaire s’inscrit dans une tendance à la dérégulation entamée en 2009 et qui s’est fortement accélérée depuis 2024, au profit de l’élevage intensif en France. Explications.

Elevage intensif de porcs
© Manuel

Promulguée le 11 août 2025 malgré une importante opposition citoyenne, la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, dite loi « Duplomb », entérine d’importants reculs en matière de bien-être animal et d’environnement. Le texte facilite notamment l’installation et l’agrandissement d’élevages intensifs en augmentant le nombre d’animaux à partir duquel une autorisation environnementale est nécessaire pour les exploitations porcines et avicoles classées « installations classées pour l’environnement » (ICPE).

Auparavant, une exploitation d’élevage de porcs était soumise à autorisation préalable dès lors qu’elle hébergeait plus de 2 000 animaux. Avec la loi Duplomb, ce seuil sera rehaussé à 3 000 animaux, et les exploitations plus petites pourront se contenter d’un simple enregistrement (lire notre article).

Le seuil passera de 750 à 900 animaux pour les truies reproductrices, de 40 000 à 60 000 pour les élevages de poules pondeuses et de 40 000 à 85 000 pour les poulets de chair.

Le texte prévoit également d’alléger les modalités de consultation du public dans le cadre des demandes d’autorisation en remplaçant les réunions publiques d’ouverture et de clôture par une simple permanence en mairie.

Suite à la promulgation de la loi Duplomb, le gouvernement Bayrou s’est empressé de rédiger avant sa chute deux décrets d’application, qui sont soumis à consultation publique jusqu’au 29 septembre 2025.

Welfarm en profite pour vous expliquer les enjeux.

1. Qu’est-ce qu’une ICPE ?

Les installations classées pour l’environnement sont les installations qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients pour les tiers-riverains et/ou de provoquer des pollutions ou nuisances vis-à-vis de l’environnement. La réglementation qui les encadre s’est construite à partir de 19761.

La finalité du régime des ICPE est de protéger les différentes composantes de l’environnement (eau, air, sols, paysages…) et de réduire les impacts liés aux nuisances sonores et olfactives. Il vise aussi à favoriser la sobriété énergétique et la décarbonation, pour lutter contre le réchauffement climatique.

De nombreuses activités de la filière agroalimentaire peuvent être soumises à la réglementation ICPE : les élevages2, les abattoirs, les laiteries, les activités de méthanisation ou de transformation de sous-produits animaux, les usines d’équarrissage, ou encore les exploitations piscicoles3.

Ces activités relèvent de la réglementation ICPE principalement en raison des pollutions engendrées : contamination des eaux et de l’air pour les élevages, rejet d’ammoniac en milieu aquatique pour la pisciculture, etc.

On recense environ 100 000 installations agricoles classées ICPE, représentant environ 20% du total des ICPE présentes sur le territoire français4.

2. Les trois régimes ICPE

Les activités relevant de la réglementation ICPE sont énumérées dans une nomenclature qui comporte trois régimes procéduraux selon le niveau de dangerosité :

  1. risques faibles : simple déclaration ;
  2. risques connus/génériques : enregistrement ;
  3. risques ou impacts forts : autorisation (lire encadré en fin d’article).

La procédure de demande d’autorisation ICPE prend, en règle générale, entre 9 et 12 mois. Elle peut être précédée par une évaluation environnementale imposée par le droit européen (directive IED).

Cette évaluation environnementale est systématique à partir d’un certain seuil (par exemple à partir de 3 000 emplacements pour les élevages de porcs).

Elle peut également être décidée au cas par cas pour les autres installations ICPE soumises à autorisation.

Les autorisations sont délivrées au niveau départemental par les préfectures.

Le régime d’autorisation est souvent jugé trop contraignant par certains acteurs de l’agro-industrie, qui mènent un lobbying intense à ce sujet auprès des pouvoirs publics depuis plusieurs années. Sous couvert de « simplification », un des objectifs est de faire évoluer la réglementation dans un sens favorable à l’installation de très grands élevages.

3. Régression réglementaire

Avant la promulgation de la loi Duplomb en 2025, la nomenclature ICPE avait déjà fait l’objet de nombreuses attaques, selon un rapport de France Nature Environnement (FNE)5.

À commencer par la création, entre 2009 et 2010, du régime d’enregistrement. Jusqu’en 2009, seuls deux types d’ICPE existaient : celles soumises à déclaration et celles soumises à autorisation.

Dans le cas d’un enregistrement, le public peut formuler des observations sur un registre en mairie, par courrier ou par voie électronique. Ce régime peut ainsi dispenser d’évaluation environnementale, d’enquête publique et de réunions de consultation.

Une modification de la nomenclature ICPE qui a été suivie d’effets : en 2010, selon la Cour des comptes, 29 458 ICPE relevaient du régime de l’autorisation, aucune du régime de l’enregistrement ; en 2015, 24 410 relevaient de l’autorisation et 5 258 de l’enregistrement ; en 2021, on comptait 20 848 autorisations pour 8 993 enregistrements.

FNE souligne dans son rapport que, depuis la loi de 2019 qui a créé le régime d’enregistrement, « de très nombreux décrets ont été pris afin de faire basculer les activités du régime de l’autorisation à celui de l’enregistrement ».

Depuis, les régressions réglementaires en matière d’ICPE se sont multipliées. Toujours selon FNE, « entre 2009 et 2024, il y a eu pas moins de 44 modifications de la nomenclature ICPE ».

Parmi les attaques récentes, on peut citer :

– la publication du décret n°2024-423 du 10 mai 2024, qui réduit notamment le délai de recours contentieux des tiers de quatre à deux mois et définit une durée maximale de traitement des recours par les tribunaux administratifs fixée à 10 mois pour les ICPE ;

– la publication du décret n°2024-529 du 10 juin 2024, qui portait sur l’harmonisation des seuils d’évaluation environnementale des élevages français avec les seuils européens (directive IED), limitant la systématicité de l’évaluation environnementale préalable à l’installation de nouveaux élevages intensifs. Le texte avait pourtant fait l’objet d’une consultation publique qui avait recueilli 99,87 % d’avis négatifs ! (lire notre article).

– Et, enfin, la « loi Duplomb », qui poursuit ce processus en facilitant davantage l’installation d’élevages intensifs. L’article 3 du texte va à contresens des demandes des citoyens en matière de respect du bien-être animal : dans ces élevages, les animaux sont élevés en bâtiments, à de très fortes densités, le plus souvent sans accès à l’extérieur. En outre ce mode d’élevage ne permet pas aux animaux d’exprimer leurs comportements naturels.

Les reculs entérinés par la loi Duplomb ne sont donc que la suite logique d’une tendance déjà bien installée à la dérégulation. Une régression du droit de l’environnement, notamment en ce qui concerne la consultation et la participation du public, qui écarte peu à peu les citoyens et associations de la participation aux décisions publiques relatives à leur environnement.

4. Un texte dicté par l’agro-industrie

Le législateur a ainsi préféré donner satisfaction à des interprofessions et syndicats défendant l’élevage intensif au lieu de répondre aux demandes sociétales. Pire, ceci s’est fait avec l’assentiment du gouvernement de l’époque. En effet, dans un courrier daté du 16 mai 2025 que s’est procuré le média spécialisé Contexte, la ministre de la Transition écologique et la ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire répondaient à une lettre reçue quelques jours plus tôt émanant de plusieurs présidents de syndicats agricoles (FNSEA et Jeunes Agriculteurs) et d’interprofessions d’éleveurs.

Le contenu du courrier est édifiant. Les ministres évoquent une lettre reçue le 24 avril contenant des « demandes de simplification du cadre réglementaire pour les éleveurs porteurs de projets soumis aux règles relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement ».

Les ministres se félicitent ensuite que des « améliorations » suggérées par les acteurs de l’agro-industrie « ont été votées au Sénat à la faveur de [leurs] interventions dans le processus législatif ». « Il en est ainsi du relèvement du seuil d’autorisation pour les élevages porcins et avicoles », continuent les ministres. « Par ailleurs, nous avons prévu dans le projet de texte la possibilité d’une permanence en mairie pour remplacer les réunions publiques d’ouverture et de clôture de l’enquête publique. »

Le gouvernement qui avait ignoré les 99,87 % d’avis négatifs de citoyens lors de la publication du décret de 2024 a donc choisi, avec l’article 3 de la loi Duplomb, de prêter sa plume aux syndicats agricoles et aux interprofessions suite à une simple demande écrite de leur part. L’avis des citoyens et le respect du bien-être animal pèsent peu face aux intérêts économiques de certains lobbies…

En France, 83 % des ICPE agricoles relèvent du régime déclaratif ; seules 9 % sont soumises à autorisation ; et 4 % seulement ont nécessité une évaluation environnementale.

Une enquête sur les fermes-usines réalisée dans cinq pays européens publiée en juin 2025 par AGtivist révèle que de 2005 à 2020, le nombre de fermes-usines a connu un essor inédit (+56 %), alors que celui des petites et moyennes exploitations s’est contracté de 44 %. Des chiffres qui relativisent les contraintes auxquelles ceux qui pratiquent l’élevage intensif s’estiment confrontés ! Dès lors, était-il nécessaire de faciliter davantage ce type d’installations ?

5. Position de Welfarm

Welfarm déplore cette tendance à la dérégulation et réaffirme son opposition à la « loi Duplomb ». Nous réclamons son abrogation, tout comme les 2 129 275  citoyennes et citoyens signataires d’une pétition déposée le 10 juillet 2025 sur le site de l’Assemblée nationale.

En outre, nous demandons l’intégration de critères ayant trait au bien-être animal dans les processus d’autorisation des ICPE.

Welfarm défend un modèle d’élevage durable qui respecte les animaux pour leur valeur intrinsèque, et s’oppose au modèle industriel qui considère les animaux comme de simples outils de production. Nous militons pour un modèle de polyculture-élevage à l’échelle des territoires, avec un accès au plein air pour tous les animaux.

Faciliter l’agrandissement d’élevages en concentrant le nombre d’animaux sur un même site va totalement à l’encontre des attentes des citoyens et des objectifs de Welfarm.

(1) ICPE définies à l’article L511-1 du Code de l’environnement. La réglementation qui les encadre s’est construite sur la base de la loi du 19 juillet 1976 sur les installations classées pour la protection de l’environnement.

(2) Des exceptions sont à noter : les élevages ovins, caprins et équins ne sont pas soumis à la réglementation ICPE mais sont concernés par la réglementation sanitaire départementale.

(3) La pisciculture relève également de la nomenclature IOTA, c’est-à-dire la réglementation sur l’eau.

(4)  Rapport de la Cour des comptes de 2021.

(5) « Simplification ? Mon œil ! », France Nature Environnement, avril 2025.

Focus sur l’autorisation environnementale

Une fois l’évaluation environnementale réalisée (dans le cas d’un projet d’ICPE qui y est soumis), la procédure d’autorisation environnementale peut être lancée.

Elle se déroule en deux étapes :

– Phase d’examen et de consultation du public : le dossier est instruit par les services de l’État, qui consultent les instances compétentes (commissions locales de l’eau, Agence régionale de santé, collectivités, etc.). Les avis doivent être rendus sous 45 jours, et le préfet peut refuser la demande si certains sont défavorables.
La consultation du public, menée en parallèle, est obligatoire et dure trois mois. Organisée par le préfet, elle prend généralement la forme d’une enquête publique avec réunions d’ouverture et de clôture. Pendant toute la consultation, les documents, avis, observations du public et réponses du porteur de projet sont mis en ligne. À l’issue de cette consultation, la commission d’enquête rédige un rapport public analysant les contributions et les réponses du porteur de projet.

– Phase de décision : sur la base de ce rapport, le préfet transmet un projet d’arrêté au porteur de projet, qui dispose de quinze jours pour formuler des observations. La décision finale doit intervenir dans un délai de deux mois, sauf prolongation ou suspension pour raisons particulières (modification du plan local d’urbanisme, expertise complémentaire…). L’arrêté préfectoral, publié en ligne, peut autoriser ou refuser le projet, et fixe le cas échéant les prescriptions environnementales nécessaires.