Welfarm a enquêté récemment au port de Sète, accompagnée de l’eurodéputée Caroline Roose (Verts/ALE). Une nouvelle fois, le constat est amer. Alors que les températures ne cessent de grimper, des animaux vivants continuent d’être exportés hors de l’Union européenne dans des cargos-poubelles à qui l’on ne confierait même pas de simples marchandises. Il est urgent de mettre un terme à cette pratique d’un autre temps, dangereuse et source de souffrances parfaitement inutiles et évitables pour les animaux.
Jeudi 11 août au matin, le cargo Abdulrahman King, battant pavillon togolais, accoste au port de Sète alors qu’il était en provenance de Misrata (Libye). Quelques heures plus tard, c’est au tour du Tulip, battant pavillon libanais, en provenance de Ténès (Algérie), de s’amarrer au quai du principal port français d’exportation d’animaux vivants à destination de pays tiers (hors Union européenne). Les animaux ont été acheminés par camions au port alors que les températures ont dépassé allègrement les 30°C les jours précédant le départ des navires.
Après un chargement nocturne, le Tulip quitte le port de Sète dans la journée du vendredi 12 août. Destination : Oran, Algérie. L’Abdulrahman King quitte le port héraultais le lendemain. Destination : Alger. Les animaux seront très probablement transportés à nouveau en camion avant d’être abattus en Algérie, sous un soleil de plomb et dans des conditions loin de répondre aux normes européennes déjà grandement insuffisantes. Dans certains cas, très minoritaires, les animaux peuvent être exportés à des fins de reproduction ou d’engraissement avant abattage.
Un navire vieux de plus d’un demi-siècle agréé par la France et un autre de 35 ans qui collectionnent les défaillances
Le « passif » de ces deux navires, qui sont loin d’être des exceptions, est éloquent.
La construction de l’Abdulrahman King remonte à 1971. Or, la navigation de n’importe quel navire devient risquée au bout de 12 ans seulement. À titre de comparaison, les navires de marchandises cessent de fonctionner en moyenne au bout de 20 ans, en raison des dangers qu’ils présentent d’un point de vue technique et structurel. Depuis 2017, l’Abdulrahman King bat pavillon du Togo, classé sur la liste noire du Mémorandum de Paris1, ce qui signifie qu’il présente le plus haut risque de non-conformités. Ces dernières années, de nombreuses défaillances sur la sécurité du navire ont été relevées par les autorités lors de leurs inspections : personnels opérant malgré l’expiration de leur contrat, systèmes anti-incendie et de communication défaillants, etc.
En dépit de ces éléments accablants, le navire a reçu l’agrément de la France pour le transport d’animaux vivants pour la période du 23 avril 2021 au 22 avril 2024.
Quant au Tulip, sa construction remonte à 35 ans. Il bat depuis 2011 pavillon du Liban, placé sur liste grise, c’est-à-dire présentant des risques moyens à élevés de non-conformités. Lors de sa dernière inspection, en juin 2022, les autorités de Tarragone (Espagne) ont relevé pas moins de quatre défaillances liées notamment aux dispositifs anti-incendie et médical pour le personnel à bord.
Comme la plupart des autres navires bétaillers, ces bateaux sont placés sous la responsabilité de sociétés proches de sociétés écrans, elles-mêmes détenues par des entités situées au Panama.
Au port de Sète, 85% des navires bétaillers sont hors d’âge et classés sur liste noire
Le port de Sète a beau avoir fait peau neuve en 2020 en se dotant d’un hangar destiné à accueillir les animaux avant leur chargement sur les navires, rien n’a changé concernant le transport d’animaux vivants. Comme vient de le constater Welfarm, ce sont toujours les mêmes cargos-poubelles qui viennent y charger les animaux. Entre 2017 et 2020, la moyenne d’âge des navires était de 42 ans. Sur la même période, 85% d’entre eux étaient classés sur la liste noire du Mémorandum de Paris. L’Abdulrahman King et Tulip ne sont donc pas des cas isolés.
Des millions d’animaux vivants exportés chaque année de France et de l’Union européenne
Chaque année, les pays européens exportent des millions d’animaux vivants en dehors de l’UE, principalement au Proche et au Moyen-Orient.
En 2018, à elle seule, la France a exporté 69.625 bovins et 2.323 ovins et caprins2. En 2020, elle était même en tête pour les exportations européennes de bovins3. À l’échelle de l’UE, 626.000 bovins et 2,2 millions de moutons et chèvres ont été exportés par mer en 2018 depuis l’UE4.
La Méditerranée, un territoire hors de tout contrôle synonyme de souffrances pour les animaux
Que se passe-t-il à bord des navires bétaillers qui sillonnent la Méditerranée ? Dans quel état les animaux arrivent-ils à destination ? Combien meurent à bord ? Même la Commission européenne avoue l’ignorer : « Ni les États membres ni la Commission ne disposent d’informations ou de statistiques sur l’état de santé et le bien-être des animaux en mer », reconnaissait-elle dans un rapport publié en mai 20205. Déplorant qu’il n’existe aucune donnée sur le taux de mortalité en mer en Europe, la Commission constatait que « la majorité des États membres ne reçoit aucun retour du pays de destination sur l’état des animaux à l’arrivée, ni du transporteur, ni du capitaine, ni de l’exploitant du navire ». Autrement dit, une fois à bord, les animaux disparaissent des radars.
Remplacer le transport d’animaux vivants par celui des carcasses
Face à ces abus, à l’absence totale de contrôles en mer, il est impératif de mettre fin aux exportations d’animaux vivants hors de l’Union européenne pour les remplacer par des exportations de carcasses. Le calvaire des animaux vers les pays tiers peut durer plusieurs jours, alterner voyages par route et par mer. Les pays européens n’ont absolument aucun contrôle sur les conditions de transports et les pays destinataires ont la plupart du temps une législation bien moins protectrice des animaux que la législation européenne, quand ils en ont une.
La législation européenne doit prendre en compte les attentes des citoyens
À la fin de 2021, la Commission européenne a mené une consultation publique dans le cadre de sa stratégie dite « De la Ferme à la Table ». Cette stratégie vise à revoir l’ensemble de la législation européenne sur la protection animale à compter de fin 2023. Les résultats de cette consultation témoignent des préoccupations croissantes des citoyens concernant le bien-être des animaux d’élevage à toutes les étapes de leur vie (élevage, transport, abattage)6. Concernant les exportations d’animaux vivants à destination des pays tiers, 94% des Européens sont favorables à leur interdiction. La Commission européenne se doit de répondre à leurs attentes et inclure cette interdiction dans la future législation. Il est temps de mettre fin au martyre des animaux en Méditerranée.
Mobilisée contre le transport d’animaux en période de fortes chaleurs depuis de nombreuses années, l’association Welfarm fait donc à nouveau appel au gouvernement dans le cadre de sa campagne « Chaud Dedans ! ». Cette enquête témoigne en effet encore de la nécessité :
- D’interdire les transports d’animaux vivants par plus de 30°C ;
- D’interdire les exportations à destination des pays tiers de l’Union européenne, en particulier en période de fortes chaleurs.
Pour plus d’informations sur la campagne Chaud Dedans ! et pour signer la pétition, rendez-vous ICI
1 Le « Memorandum de Paris sur le contrôle des navires par l’État du Port » ou « Paris Memorandum of Understanding on Port State Control » ou MoU (pour « Memorandum of Understanding ») plus généralement dit « Mémorandum de Paris » est un accord international signé en 1982 qui regroupe 27 nations maritimes. Cet accord vise à améliorer la sécurité maritime par un meilleur contrôle des navires dans les ports au travers d’inspections à bord qui portent sur la conformité des navires aux conventions maritimes internationales. Chaque année, le Memorandum publie sur la base de ses inspections dans les ports trois listes : la liste blanche, grise et noire concernant la sauvegarde de la vie humaine en mer, la prévention des pollutions marines et le respect des normes de vie et de travail à bord des navires.
2 Rapport d’information déposé par la commission des Affaires européennes sur la protection du bien-être animal au sein de l’Union européenne, présenté par Typhanie Degois, 16 septembre 2020.
3 France AgriMer, « Les performances à l’exporte des filières agricoles et agroalimentaires, situation en 2020 »
4 Voir rapport susmentionné
5 Rapport de synthèse effectué par la DG santé et sécurité alimentaire sur le bien-être des animaux exportés par voie maritime (Réf. DG(SANTE)/2019-6835)
7 Commission européenne, Factual summary report of the online public consultation in support to the fitness check and revision of the EU animal welfare legislation (15 octobre 2021 – 21 janvier 2022)