Deux organisations de protection animale italienne et espagnole ont commandé une enquête approfondie dans cinq pays de l’UE pour évaluer l’intérêt des citoyens pour le bien-être des poissons d’élevage. Les résultats révèlent une demande publique importante pour de meilleures normes en pisciculture et des réglementations plus strictes en matière de bien-être animal.
À l’heure où, selon l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la part d’animaux aquatiques d’élevage a dépassé la part d’animaux aquatiques pêchés pour la consommation humaine, les résultats d’une étude commanditée par les organisations de protection animale Essere Animali (Italie) et Observatorio de Bienestar Animal (Espagne) indiquent une préoccupation généralisée des Européens pour le bien-être des poissons d’élevage.
Cette enquête a été menée dans cinq pays de l’Union européenne : France, Allemagne, Grèce, Italie et Espagne, et Welfarm a été consultée pour la construction de l’enquête au niveau national.
Dans chacun des pays enquêtés, la moitié des personnes interrogées ont vu une courte vidéo les informant des pratiques actuelles dans les élevages intensifs avec un focus sur l’utilisation de coulis de glace au moment de l’abattage, qui mène à une mort lente des poissons. Selon les pays, entre 51 et 65 % des personnes interrogées considèrent cette pratique inacceptable.
Des consommateurs prêts à payer plus pour du poisson élevé avec de meilleures normes
Une majorité de personnes interrogées dans tous les pays sont prêtes à payer un prix plus élevé pour du poisson élevé selon des normes mieux disantes pour le bien-être animal, même sans avoir été informées des pratiques d’abattage actuelles. Cette disposition à payer est nettement plus élevée chez les personnes interrogées qui ont été exposées à des images de pratiques d’abattage réalisées sans étourdissement efficace.
Des citoyens favorables à une réglementation plus stricte
La tendance se confirme lorsqu’on interroge les sondés sur la réglementation. Même sans avoir été exposés à la vidéo, la grande majorité des sondés (56 à 70%) sont d’accord avec la nécessité de réglementations plus strictes en matière de pisciculture, notamment en matière de méthodes d’étourdissement et de mise à mort. Leur intérêt augmente également de manière significative dans le groupe qui a été informé des pratiques actuelles (65 à 76 %).
Forte demande d’un étiquetage relatif au bien-être des poissons
La transparence de l’étiquetage est également apparue comme une préoccupation majeure des consommateurs européens. Le soutien à un étiquetage plus clair sur le bien-être des poissons est extrêmement élevé dans les cinq pays (68 à 82 % pour les personnes ayant vu la vidéo).
Résultats similaires en France
Les résultats des répondants français tendent à refléter les résultats des autres pays européens. Près de 74 % des Français interrogés considèrent que les pratiques d’abattage actuelles, notamment l’immersion à vif dans du coulis de glace, sont inacceptables. Après avoir visionné des images de cette pratique. 76 % se déclarent favorables à une réglementation plus stricte. Enfin, 80 % des répondants français souhaitent un étiquetage relatif au bien-être des poissons.
Selon Pricillia Durbant, chargée d’études en bien-être animal chez Welfarm, « ces résultats confirment que les citoyens français se soucient du bien-être des poissons. En mars dernier, le Centre national de référence pour le bien-être animal qualifiait l’immersion de poissons vivants dans du coulis de glace, pratique courante d’abattage du bar et de la daurade, de processus douloureux et aversif. Cette enquête montre que les consommateurs français désapprouvent cette méthode et souhaitent que ce problème soit résolu ».
Carences du droit
Pour l’instant, les poissons d’élevage sont très peu protégés en droit français et européen comparé aux animaux terrestres.
S’il existe une réglementation au niveau sanitaire et environnemental, les normes existantes en matière de protection animale sont très déficitaires. Les quelques normes contraignantes sont peu concrètes (notamment absence de limitations de la densité et d’exigences en matière de qualité de l’eau), très vagues, généralistes, et parfois pensées pour les animaux terrestres1.
Les normes un peu plus concrètes sont soit non contraignantes2 soit uniquement limitées à l’aquaculture biologique3. Les poissons d’élevage sont même explicitement exclus4 de certains principes généraux de protection des animaux, comme l’obligation d’étourdissement5.
Le droit français comme européen laisse donc les poissons d’élevage vulnérables face aux projets d’entreprises peu scrupuleuses qui sont tout à fait libres de conduire leur élevage à des densités excessives, avec une qualité de l’eau médiocre, sans fournir aucun enrichissement du milieu de vie, et d’abattre les poissons dans de mauvaises conditions6 si elles le souhaitent.
Actions et demandes de Welfarm
Welfarm appelle les décideurs politiques français et européens à adapter au plus vite les réglementations pour protéger les poissons au moment de l’élevage, du transport et de l’abattage. L’association appelle également les professionnels à faire évoluer leurs pratiques de manière volontaire.
Welfarm a lancé en avril 2024 sa campagne nationale « RAS : Tout à signaler ». Elle vise à empêcher l’installation de trois élevages hyper-intensifs de saumons atlantiques en France.
Ces projets sont à l’étude sur les communes de Plouisy, en Côtes-d’Armor ; Le Verdon-sur-Mer, en Gironde ; et Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais. Welfarm soutient ainsi le combat des collectifs d’opposition qui se sont constitués dans chacune des trois communes depuis plusieurs années.
La pisciculture exclusivement en RAS est un mode de production intensif qui pose de nombreux problèmes en matière de bien-être animal :
– densités extrêmes, indispensables pour atteindre la rentabilité économique, les poissons sont privés de l’espace nécessaire à leur bien-être ;
– risques de mortalité de masse. La survie des saumons dépend du bon fonctionnement des équipements. En 2021, dans un élevage RAS de l’entreprise Atlantic Sapphire, en Floride, 500 000 saumons sont morts à la suite d’une panne du système de filtration ;
– conditions de vie difficiles. Ce mode d’élevage implique des risques pour le bien-être et la santé des saumons, notamment des difficultés de gestion de la qualité de l’eau et des pathogènes (difficultés techniques pour utiliser des antibiotiques en cas de besoin).
Welfarm demande donc l’abandon de ces projets ainsi qu’un moratoire au sujet de ce type d’élevages, afin qu’ils ne puissent pas voir le jour en France tant qu’un niveau acceptable de bien-être n’y sera pas garanti pour les poissons.
(1) Giménez-Candela, M., Saraiva, J. L., & Bauer, H. (2020). The legal protection of farmed fish in Europe– analysing the range of EU legislation and the impact of international animal welfare standards for the fishes in European aquaculture. In Derecho Animal. Forum of Animal Law Studies (Vol. 11, No. 1, pp. 65-118).
(2) Recommandation du 5 Décembre 2005 du Comité permanent de la Convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages ; titre 7 du Code sanitaire pour les animaux aquatiques de l’OIE
(3) Règlement (UE) 2018/848 du parlement européen et du conseil du 30 mai 2018 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, et abrogeant le règlement (CE) n o 834/2007 du Conseil ; Règlement d’exécution (UE) 2020/464 de la Commission du 26 mars 2020 portant certaines modalités d’application du règlement (UE) 2018/848 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les documents nécessaires à la reconnaissance rétroactive des périodes de conversion, la production de produits biologiques et les informations communiquées par les États membres
(4) article 4 de la Directive 98/58/CE du Conseil du 20 Juillet 1998 concernant la protection des animaux dans les élevages ; article 1.1 du règlement (CE) N° 1099/2009 du conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort
(5) Op. cit 60 ; Riberolles, G. (2020) Protection des poissons de pisciculture commerciale lors de la mise à mort, Proposition de réforme juridique. Revue Semestrielle de Droit Animalier n°2/2020
(6) Malgré l’absence d’obligation d’étourdissement pour les poissons, beaucoup de producteurs européens utilisent des méthodes d’étourdissement. Dans ce domaine la filière saumon est généralement plus avancée que d’autres filières piscicoles telles que la filière bars – daurades ; Welfarm (2020) Farmed fish slaughter methods report – Recommendations for Rainbow trout, Atlantic Salmon, European sea bass and Gilthead sea bream https://welfarm.fr/wp-content/uploads/2023/03/WELFARM-HUMANE-SLAUGHTER-FOR-FARMED-FISH.pdf