Les souffrances des poissons pour la première fois prises en compte par l’aquaculture française

Le gouvernement a publié en mai le Plan Aquacultures 2021-2027 signé le 4 mars dernier par les « parties prenantes du secteur ». Ce plan a pour but de « définir une stratégie collective pour le développement durable de l’aquaculture française à l’horizon 2027 »1. Si les mesures annoncées pour réduire la souffrance des poissons sont insuffisantes, il est à souligner que pour la première fois, le bien-être animal est pris en compte dans les grandes orientations d’avenir de la filière, avec une section spécialement dédiée dans le plan. 

Qu’est-ce que le Plan Aquacultures d’avenir ?

Le Plan Aquacultures d’avenir décline au niveau français les « orientations stratégiques » de l’Union européenne pour la période 2021-2030, parues en mai 2021, intégrant les stratégies européennes du Pacte vert et De la Ferme à la Table. Il s’appuie sur la partie aquacole du Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture (FEAMPA2), et sera mis en œuvre par l’État et les Régions. La France devra également présenter son programme opérationnel (PO) pour le FEAMPA 2021-2027 détaillant davantage la question de la répartition chiffrée des subventions européennes. Les actions identifiées dans le Plan Aquacultures d’avenir pourront potentiellement être financées par les subventions du FEAMPA allouées à la France.

Le Plan Aquacultures fait ainsi figure de « stratégie collective pour le développement durable de l’aquaculture française à l’horizon 2027 ».

Les priorités du Plan Aquacultures d’avenir s’articulent autour de l’innovation, la simplification administrative, l’amélioration des conditions sanitaires et zoosanitaires3, la gestion des risques, la performance économique et environnementale des entreprises, l’attractivité des métiers et la valorisation des données. Le bien-être animal n’est que très peu mentionné dans ce plan signé par Annick Girardin, ancienne ministre de la Mer, Clotilde Eudier, vice-présidente de Régions de France, Michel Berthommier, président du Comité interprofessionnel des produits de l’aquaculture (CIPA) et Philippe Le Gal, président du Comité national de la conchyliculture4 (CNC).

Les ONG, dont Welfarm, encore trop peu entendues

Welfarm, la Fondation Droit animal, Éthique et Sciences (LFDA) et l’Aquatic Life Institute (ALI) ont déposé des cahiers d’acteurs5 lors de la consultation publique portant sur le programme opérationnel (PO) français du FEAMPA et le Plan Aquacultures d’avenir. Force est de constater que leurs revendications n’ont été que partiellement prises en considération.

Ainsi, dans la section spécifiquement consacrée au bien-être animal du plan, intitulée « Bien-être des poissons », les points suivants mis en avant par les ONG et Welfarm sont absents :

ꟷfinancement de la recherche sur l’enrichissement de l’environnement6 ;

ꟷmodernisation des pratiques d’abattage ;

ꟷcréation de formations spécifiques sur le bien-être animal en pisciculture ;

ꟷfinancement des investissements des professionnels pour la mise en œuvre des bonnes pratiques.

Il est cependant à noter que le bien-être animal n’était même pas mentionné dans le plan précédent. Il s’agit donc d’un progrès qui est en lien avec l’évolution de la société ces dernières années. Le rapport relève que « les considérations sociétales portant sur le bien-être animal se sont renforcées. Les conditions d’élevage et d’abattage des poissons sont questionnées. » Malgré ce constat, les actions annoncées en faveur du bien-être des poissons d’élevage sont minces. Il est essentiellement question de « développer la recherche et le partage de bonnes pratiques ».

Cependant, concernant la mise en place de nouveaux sites, le bien-être animal est explicitement reconnu comme un « enjeu de l’acceptabilité sociale ». « La pisciculture est (…) confrontée à un déficit d’image en matière d’impact environnemental, auquel s’ajoute la question du bien-être animal », est-il écrit.

Le bien-être animal oublié de la formation piscicole et des enjeux sanitaires

Par ailleurs, le plan ne mentionne pas le bien-être animal dans sa section consacrée à la formation. Welfarm et les ONG avaient pourtant mis en avant le besoin de l’intégrer à la formation initiale des professionnels et de créer des formations continues sur le sujet pour les professionnels déjà installés.

En outre, la section consacrée à la santé des poissons n’aborde pas les intérêts des bonnes pratiques en termes de bien-être animal, notamment les faibles densités comme levier de prévention des problèmes de santé.

Une adaptation au réchauffement climatique insuffisante

Une section du plan est consacrée à la « Gestion des risques climatiques, sanitaires, zoosanitaires et environnementaux ». Celle-ci prévoit notamment d’accompagner l’adaptation des installations piscicoles face à ces risques et mentionne l’oxygénation, puisque le taux d’oxygène diminue avec l’augmentation de la température. En revanche, la mise en place de zones d’ombres ou l’augmentation de la profondeur des bassins, des solutions défendues par Welfarm, ne figurent pas dans le document. Il est ici important de signaler que les poissons, à l’instar des animaux d’élevage terrestres, souffrent grandement de la chaleur, phénomène qui n’ira qu’en s’accentuant avec le réchauffement climatique.

Espèces carnivores, diversification, et commercialisation

La principale piste explorée pour diversifier et augmenter la production aquacole est le développement de l’élevage d’espèces de poissons carnivores, à rebours des préconisations de la Commission européenne. Or le régime carnivore des poissons exerce une pression sur l’environnement, intenable dans un contexte d’élevage. L’élevage intensif est responsable d’une large partie de la surpêche dans nos océans menacés. Des centaines de milliards de poissons sauvages sont pêchés pour produire de la farine et de l’huile de poisson qui composent l’alimentation des poissons carnivores en élevage. Cela représente des souffrances animales additionnelles pour les poissons lors de leur capture et de leur mise à mort sans étourdissement, ainsi qu’un gaspillage de ressources alimentaires qui pourraient être consommées directement par les humains.

Enfin, dans la section consacrée aux questions de commercialisation, et aux démarches qualité, cinq actions sont susceptibles d’impacter favorablement le bien-être des poissons :

ꟷla favorisation des circuits courts ;

ꟷle fait dans les échanges commerciaux d’ « assurer la réciprocité des conditions avec les pays tiers »7 ;

ꟷle fait d’assurer l’inscription de dispositions permettant de valoriser les productions d’origine française ;

ꟷle soutien aux investissements et à la conversion vers la pisciculture biologique (laquelle garantie notamment des faibles densités d’élevage) ;

ꟷle soutien aux initiatives de mise en place de signes officiels mentionnant la qualité et l’origine et à d’autres démarches de valorisation.

Welfarm suivra attentivement la mise en œuvre de ce Plan Aquacultures 2021-2027. En effet, améliorer le bien-être et la protection des poissons, au cours de l’élevage, du transport et de l’abattage est une des priorités de l’association. Welfarm n’aura de cesse d’échanger avec les acteurs de la filière aquacole pour faire valoir les pratiques allant dans ce sens. La mention des ONG dans la partie du plan consacrée à « l’amélioration des connaissances sur le bien-être animal » nous en donne la légitimité et ne fait que renforcer notre volonté d’agir sur le terrain.

Le Comité interprofessionnel des produits de l’aquaculture (CIPA) a également lancé une plateforme « bien-être des poissons d’aquaculture », dont le but est de « développer des programmes de recherche sur des critères de mesure du bien-être animal et associer à plus long terme la société civile ». Welfarm ne manquera pas de rappeler ses engagements au CIPA et de mettre en avant son expertise en la matière.

[Retrouvez ICI la tribune signée par Welfarm dans le quotidien Le Monde à l’occasion de la journée mondiale de l’Océan le 8 juin.]

[Pour en savoir plus sur la sensibilité, l’intelligence et les émotions ressenties par les poissons, rendez-vous ICI.]

1 Source : secrétariat d’État chargé de la mer (https://mer.gouv.fr/plan-aquacultures-davenir-une-nouvelle-etape-pour-la-filiere-aquacole-francaise)

2 Le Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture (FEAMPA), est doté d’un budget de 5,4 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Le FEAMPA permet notamment la mise en œuvre de la Politique commune de la pêche (PCP). Source : Toute l’Europe (https://www.touteleurope.eu/l-europe-et-moi/le-fonds-europeen-pour-les-affaires-maritimes-et-la-peche-feamp/)

3 Relatives à la prévention de certaines maladies chez les animaux aquatiques et aux mesures de lutte contre ces maladies.                   

4 La conchyliculture regroupe les différentes cultures des coquillages : huître creuse, moule, et dans une moindre mesure, huître plate, palourde et coque.

5 Un cahier d’acteur est une modalité d’expression dédiée aux personnes morales (collectivité territoriale, association, chambre consulaire, syndicat professionnel, organisme public parapublic ou privé…) qui souhaitent faire connaître leur position sur tout ou partie des enjeux mis en débat.

6 L’enrichissement renvoie au fait de rendre le milieu de vie davantage diversifié, hétérogène et stimulant, en donnant aux animaux la possibilité de choisir entre différentes activités et types d’environnements. Cela favorise l’expression des comportements propres à l’espèce et la satisfaction des préférences des animaux. En filière piscicole, les principales pistes d’enrichissement sont la mise en place de substrat au fond des bassins, d’abris, de structures suspendues, de panneaux coupe-courant qui diversifient les vitesses du courant au sein du bassin, de zones d’ombres, de stimuli auditifs (musique), de couleurs spécifiques pour les parois des bassins, de plantes artificielles, de branchages, de grosses pierres, de flots de bulles etc.

7 C’est-à-dire s’assurer que les conditions d’élevage des poissons dans des pays hors Union européenne (UE) répondent aux mêmes normes que dans les pays membres de l’UE.