L’interdiction de la castration à vif des porcelets, entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2022, est présentée par le gouvernement comme une mesure phare pour le bien-être des animaux d’élevage. Pourtant, pour près de 9 millions de porcs, la castration au prix de grandes souffrances est toujours de mise puisque cette mutilation demeure autorisée. Bien que des alternatives fiables et sûres à la castration physique existent, dans l’ombre, certains acteurs de la filière porcine se mobilisent pour le maintien de cette mutilation…
DE NOMBREUX ACTEURS DE LA FILIÈRE PORCINE SOUHAITENT SE TOURNER VERS LES ALTERNATIVES À LA CASTRATION PHYSIQUE…
Dans le cadre de sa campagne #StopCastration, WELFARM n’a pas seulement interpellé le grand public, comme lors de sa récente campagne d’affichage dans les stations du métro parisien. L’association a également rencontré pendant plusieurs mois de nombreuses marques et enseignes de grande distribution. L’objectif : faire un diagnostic des pratiques des géants de l’industrie et les pousser à s’engager publiquement en faveur des alternatives à la castration physique des porcelets. À l’appui des informations fournies par les marques et les distributeurs, Welfarm a conçu le Castra-Score, un outil d’évaluation pour permettre à tout un chacun de découvrir les engagements de ces acteurs vers l’arrêt de la castration physique.
Ces échanges avec les professionnels de la filière ont été riches en enseignements. Premier constat : les marques et distributeurs que nous avons rencontrés sont dans leur majorité favorables aux alternatives à la castration physique des porcelets. « Il y a un véritable engouement pour le mâle entier, il y a un emballement des éleveurs et une demande sociétale. Les seuls freins c’est que des problèmes sont pressentis au niveau de l’abattage et de la transformation », nous a par exemple confié une professionnelle en entretien. Les opinions sont ainsi globalement très favorables à l’élevage de mâles entiers. Si l’on nous a bien précisé qu’il n’est pas envisageable d’arrêter la castration dans tous les élevages du jour au lendemain, les marques et distributeurs s’accordent presque tous pour affirmer qu’il s’agit de LA solution d’avenir : « La voie du mâle entier est l’objectif à terme », « Dans 5 à 10 ans, la castration sera un problème dépassé. Toute la filière sera en mâle entier ! » …
Concernant l’immunocastration (ou vaccination des mâles), si certains acteurs doutent encore de l’acceptabilité de cette pratique, nous leur avons toutefois rappelé que les consommateurs sont en réalité favorables à cette alternative lorsque les informations sont mises à leur disposition. Ces résultats issus de l’étude européenne menée par le réseau de chercheurs de l’IPEMA (Innovative Approaches for Pork Production with Entire Males) confirment ce qui peut s’observer dans les magasins belges et brésiliens. Les mentalités évoluent néanmoins rapidement sur cette question : « Il nous semble que l’immunocastration est une solution intéressante, plus que l’anesthésie », « Il n’y a pas de problèmes techniques avec la vaccination. », « La piste de l’immunocastration est intéressante pour transformer des viandes en salaisons », nous ont par exemple affirmé plusieurs professionnels lors de nos entretiens. Précisons également, qu’avec l’appui de Welfarm, la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT) soutient la solution du mâle vacciné pour les productions en salaisons sèches1.
… MAIS SONT BLOQUÉS PAR LE REFUS D’UNE MINORITÉ D’ABANDONNER CETTE MUTILATION !
Ainsi, de nombreuses marques et enseignes de distribution souhaitent augmenter la part de porcs non castrés dans leurs approvisionnements. Pourtant, malgré leur positionnement favorable aux alternatives à la castration physique, elles n’ont pas toujours la marge de manœuvre suffisante pour agir !
Au cœur du problème, ce sont les mêmes noms qui reviennent : certains abatteurs réunis au sein du syndicat Culture Viande, et plus particulièrement le groupe Bigard.
Comme nous vous l’expliquions dans de précédents articles (voir ici et ici), le syndicat Culture Viande et le groupe Bigard avaient annoncé depuis de nombreux mois leur intention de maintenir la castration sous anesthésie et analgésie2. Dans un communiqué de presse du 8 décembre dernier, Culture Viande avait proposé de verser une plus-value aux éleveurs qui maintiendront la castration physique des porcelets en 2022 (+2cts/kg) tout en pénalisant les carcasses de mâles entiers (-23 cts/kg). Il s’agit d’une manœuvre pour inciter les éleveurs à continuer de castrer physiquement les porcs et dévaloriser coûte que coûte les alternatives.
Ce refus de considérer les solutions alternatives est loin d’être anecdotique. En détenant 20% du marché de l’abattage et de la découpe des porcs, le groupe Bigard est en effet en passe de devenir le leader sur le marché avec le rachat des abattoirs du groupe Avril. Or, en dominant ainsi le marché, sa position empêche les transformateurs et la grande distribution, et en particulier ceux qui ne disposent pas de leurs propres outils d’abattage, de se tourner vers l’alternative du mâle entier ou celle du mâle vacciné. Les professionnels que nous avons rencontrés sont unanimes : « Le maillon production est favorable [à l’élevage de mâles entiers] mais pas le maillon abattage : c’est Bigard qui bloque […] Avec le rachat d’Abera, c’est Bigard qui a le pouvoir. Si Bigard ne veut pas on ne peut pas », « Bigard a du mal à croire les arguments [en faveur du mâle entier], ils restent campés sur leur position… », « Je n’ai jamais vu une position aussi butée reposant sur aussi peu d’arguments. Ils [Bigard] sont posés là comme une moule sur un rocher, ils sont sûrs d’eux sur tout », nous a-t-on même confié.
En plus de tuer dans l’œuf les velléités de certaines marques et distributeurs favorables aux alternatives à la castration physique, Bigard menace également les engagements publics pris par les autres acteurs de la filière. Par exemple, Herta et Fleury Michon, deux géants de l’industrie, cherchent à atteindre 100% de porcs mâles entiers dans leurs approvisionnements d’ici les prochaines années, une démarche que nous saluons vivement dans notre Castra-Score. Mais seront-ils en mesure de respecter leurs engagements ? Le doute est permis. Herta a dû renoncer au mâle entier dans sa démarche « Engagé et Bon » en raison du positionnement défavorable à l’élevage de mâles entiers du groupe Bigard, notamment via son fournisseur Socopa (groupe Bigard)3. Pour sa part, Fleury Michon ambitionne notamment d’atteindre 100% de mâle entier sur sa filière propre, qui représente une quarantaine d’éleveurs en partenariat avec le groupe Avril. Mais le rachat des abattoirs du groupe Avril par le groupe Bigard pourrait bien remettre en cause cette démarche de progrès…
Le groupe Bigard, et plus largement les industries de la viande réunies au sein du syndicat Culture Viande, sont des acteurs incontournables de la filière porcine française. Ils sont la clé pour permettre la généralisation des alternatives à la castration physique des porcelets : les engagements du reste de la filière dépendront de leur capacité à mettre en place le système de détection des carcasses odorantes dans leurs abattoirs. Or, cette forte implantation ne leur donne pas tous les droits. Elle est au contraire source de responsabilités : celle d’écouter les éleveurs, les marques et les distributeurs qui souhaitent s’engager vers les alternatives à la castration physique ainsi que les consommateurs qui sont à 85% défavorables aux mutilations pratiquées sur les porcs4. Les temps changent et les signaux forts vers la fin des mutilations se multiplient… Espérons que Bigard saura saisir ce virage et laissera à ses partenaires le choix de se tourner vers les alternatives à la castration physique. Le bien-être des porcelets en dépend !
1 E. Taurin, « La charcuterie sèche a besoin de mâles castrés…qu’importe l’origine. », Porcmag, 18 octobre 2021.
2 E. Polette De Oliveira, « Bigard maintiendra la castration, les éleveurs s’organisent », Porcmag, 31 mai 2021.
3 E. Polette De Oliveira, « Un partenariat filière pour une traçabilité totale », Porcmag, 31 mai 2021.
4 Sondage Yougov, 2017