Lorsqu’on pense aux souffrances subies par les animaux lors d’épisodes de fortes chaleurs, les poissons ne nous viennent pas forcément à l’esprit. Pourtant, ces animaux à sang froid sont très vulnérables aux variations de températures. La truite arc-en-ciel, principale espèce élevée en France est particulièrement sensible aux vagues de chaleur.
Les poissons sont des animaux poïkilothermes et ectothermes (animaux à sang froid). Contrairement aux organismes endothermes, ils ne produisent pas de chaleur, et sont donc dépendants de leur milieu en ce qui concerne leur température corporelle.
En France les principales espèces élevées en mer sont le bar européen et la daurade royale1. Ces poissons sont élevés principalement en Méditerranée car ils ont besoin d’une eau plutôt chaude, et sont donc peu vulnérables aux vagues de chaleur.
La truite arc-en-ciel, première victime des vagues de chaleur en France
Ce n’est pas le cas de la truite arc-en-ciel, principale espèce d’eau douce élevée en France. Elle tolère des températures d’eau situées entre 4 et 18 °C en eau douce. À partir de 22 °C, sa vie est en danger. Pour les quelques élevages de truites en mer, ce seuil critique se situe à 19 °C. En ce qui concerne les œufs et les alevins, la température devient critique au-dessus de 15 °C.
Cette espèce d’eau froide est donc particulièrement vulnérable aux épisodes de fortes chaleurs.
D’autres facteurs de risques viennent s’ajouter à cette vulnérabilité biologique.
1. La triploïdie
L’un d’entre eux, pour la truite arc-en-ciel en élevage conventionnel, est la triploïdie. Les pisciculteurs pratiquent une manipulation sur les œufs de poissons (choc de pression ou choc thermique) avant la première division cellulaire. Ce choc a pour résultat que les poissons ont leurs chromosomes en triple plutôt que par paires, comme c’est normalement le cas.
Cette opération répond à un double objectif :
- productiviste : les poissons triploïdes ne parviennent pas à maturité sexuelle. Or, la survenue de la maturité sexuelle diminue les performances zootechniques et dégrade les qualités organoleptiques de la chair des poissons ;
- environnemental : les poissons triploïdes sont stériles, ce qui évite ainsi les risques d’invasion biologique et de pollution génétique au cas où les truites s’échappent des bassins d’élevage, qui sont reliés aux rivières.
Mais la tripoïdie pose de nombreux problèmes en matière de bien-être animal. Elle favorise en effet la survenue de diverses difformités et augmente la vulnérabilité au stress hyperthermique et à l’hypoxie.
2. Les fortes densités
Les fortes densités dans les élevages sont également un facteur de risque supplémentaire. Lorsqu’on élève des poissons à très fortes densités, il n’y a pas suffisamment d’oxygène dans l’eau pour que tous les individus puissent respirer, il faut donc continuellement ajouter de l’oxygène dans l’eau par aération ou oxygénation. En cas de fortes chaleurs, on a donc beaucoup moins de marge de manœuvre pour absorber les variations de disponibilité en oxygène, ce qui peut conduire à des surmortalités.
Effets des fortes chaleurs sur les poissons
La truite arc-en-ciel a besoin d’un taux d’oxygène supérieur ou égal à 7 mg/l d’eau. Lorsque la température augmente :
- les besoins en oxygène (O2) des poissons augmentent également ;
- des phénomènes physiques se produisent, qui diminuent la concentration en O2 dans l’eau ;
- le métabolisme des micro-organismes présents dans l’eau augmente, ce qui fait qu’ils consomment plus d’O2, donc la concentration d’O2 dans l’eau baisse.
À température élevée, les poissons ont davantage besoin d’oxygène, alors même que l’oxygène dissous se raréfie. Une situation qui conduit à un stress hypoxique. Si cette insuffisance en O2 est trop extrême ou trop longue, elle conduit à la mort des poissons.
Les épisodes de fortes chaleurs s’accompagnent fréquemment de sécheresses. En cas de sécheresse, la disponibilité en eau baisse, ce qui conduit à une baisse de débit dans les bassins. L’eau est moins renouvelée et sa qualité baisse.
L’étiage – la période de l’année où le volume d’eau disponible est le plus bas – est une période risquée en matière de santé et de bien-être animal en pisciculture. L’étiage provoque souvent des mortalités de masse en élevage.
Dans le cas des élevages en cages marines et lacustres, les épisodes de fortes chaleurs peuvent provoquer des blooms algaux. On entend par bloom algal le développement de micro-algues et de cyanobactéries en surface. Ce phénomène provoque :
- une diminution du taux d’oxygène dans l’eau, parfois mortelle pour les poissons ;
- parfois les micro-algues ou les bactéries peuvent être toxiques en elles-mêmes.
S’ils sont favorisés et plus fréquents lors de fortes chaleurs, les blooms algaux sont déterminés par beaucoup d’autres facteurs, notamment par les apports en nutriments (lors de pollutions agricoles déversées dans la mer, par exemple).
L’augmentation de la température de l’eau provoque des changements dans l’alimentation des poissons. Lorsque la température augmente mais reste sous les seuils critiques, le métabolisme des poissons augmente et ils s’alimentent davantage. Si la température dépasse les seuils critiques, les poissons se nourrissent moins, voire cessent de s’alimenter. Un arrêt de l’alimentation est donc un indicateur de stress hyperthermique.
Enfin, en absence d’ombrage des bassins, la surexposition aux UV peut provoquer des coups de soleil qui se manifestent par des taches blanches sur la peau des poissons. Elle augmente aussi le risque de cataractes.
Des mesures peuvent être prises pour adapter les élevages piscicoles aux épisodes de chaleurs, de plus en plus fréquents dans le contexte de changement climatique, et ainsi réduire les souffrances des poissons.
Retrouvez ces mesures dans notre fiche technique « Besoins spécifiques et recommandations par fortes chaleurs : la truite arc-en-ciel ».
(1) Quelques rares élevages de salmonidés en mer existent sur les côtes françaises, mais le volume de production est assez marginal
Une pétition est en ligne pour demander au Gouvernement de prendre des mesures ambitieuses pour transformer les conditions d’élevage et de transport des animaux.