Réaction embarrassée des chambres d’agriculture, abattoirs mis devant le fait accompli… Révélé par Welfarm, le scandale des taurillons renvoyés d’Algérie pour être finalement abattus en France témoigne de l’absurdité et de la cruauté de la pratique consistant à exporter des animaux vivants hors de l’Union européenne.
Le 19 septembre dernier, Welfarm alertait les pouvoirs publics et la presse.
Rappel des faits : des animaux de plusieurs centaines de kilos bloqués sur un navire hors d’âge pendant des semaines
Le 2 septembre, le navire bétailler Nader-A, battant pavillon togolais, vieux de 45 ans, quitte le port de Sète avec à son bord 780 taurillons d’environ 600 kg chacun. Destination : Alger. À son arrivée le 4 septembre, les autorités algériennes refusent le déchargement des animaux en raison des risques sanitaires encourus. Certains taurillons exportés ne sont pas accompagnés des documents certifiant qu’ils ne sont pas porteurs de la rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR)1, une maladie extrêmement contagieuse. Aucun personnel du port d’Alger n’est autorisé à monter à bord du navire, ayant pour consigne de se tenir éloigné d’un potentiel foyer infectieux.
Finalement, le Nader-A quitte le port d’Alger le 19 septembre, soit 15 jours après son arrivée. Destination : le port de Sète, son point de départ. Il accoste le vendredi 23 septembre après être resté au mouillage pendant plus de 24 heures. Selon nos informations, plusieurs animaux seraient morts à bord. À la suite d’une visite vétérinaire sur le bateau, la préfecture de l’Hérault a fait état de son côté « d’un taurillon mort » et de trois autres « jugés inaptes au transport » qui ont dû être euthanasiés.
« On dénonce l’absurdité de la situation. Ça n’a aucun sens. Ils sont restés bloqués 15 jours au port d’Alger avant d’être rapatriés en France pour finalement être euthanasiés. C’est beaucoup de souffrances inutiles », déplore Judith Dei Rossi, une représentante de l’association Welfarm.
Les animaux seront abattus le lendemain de l’arrivée du Nader-A au port de Sète, aux abattoirs de Rodez et de Saint-Affrique, réquisitionnés pour l’occasion par l’État français. Le motif invoqué : leur affourage avec du foin algérien lors du stationnement à Alger… un fourrage issu d’un pays où la fièvre aphteuse est présente. Les cadavres des animaux ont par la suite été incinérés à Baylet dans l’Allier (centre) ainsi qu’à Cros-de-Montvert (Cantal).
Une « difficulté d’interprétation » à l’origine de l’affaire
Le ministère français de l’Agriculture a expliqué qu’une « difficulté d’interprétation » du statut sanitaire de trois animaux était la cause du blocage, assurant « qu’il n’y a pas eu de manquement des autorités françaises sur le certificat d’export » ayant permis le départ des bêtes. Les taurillons sains avaient été vaccinés contre la rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR). Or des documents joints à leur certificat export portaient la mention « IBR positif », laissant croire à tort qu’ils étaient porteurs du virus, selon le ministère.
À leur retour en France, les animaux n’ont donc pas été abattus à cause du risque de contamination à la rhinotrachéite infectieuse bovine. Les taurillons ayant reçu du foin au port d’Alger et la fièvre aphteuse sévissant en Algérie, c’est pour cette raison et au nom du principe de précaution que les autorités françaises ont pris la décision de les euthanasier et de les incinérer. Le risque d’une contamination est « extrêmement minime, mais on ne peut l’écarter », avait détaillé le gouvernement précisant que les bovins ne seraient « pas remis dans le circuit de consommation humaine » une fois abattus.
De son côté, le vendredi 23 septembre, la préfecture de l’Hérault avait souligné que « les résultats des analyses et de la visite vétérinaire ne [faisaient] état d’aucun signe de contamination à la fièvre aphteuse ».
Chambres d’agriculture, éleveurs, abatteur : tous sont consternés
Welfarm et les associations de défense des animaux qui ont relayé nos informations n’ont pas été les seules à mettre en avant l’absurdité d’une telle situation.
« Je me demande s’il n’y avait pas la possibilité de prendre une autre décision que celle-là », s’interroge ainsi Jacques Molières, président de la chambre d’agriculture de l’Aveyron, cité par le média Centre Presse. « Ces animaux ont été traités comme de vulgaires carcasses de voitures. Au prix de la viande, alors qu’il en manque, les sortir du circuit de commercialisation pour la consommation humaine est inimaginable », dénonce de son côté Serge Bousquet-Cassagne, président de la Chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne, dans Sud Ouest.
Unicor, la coopérative agricole gestionnaire de l’abattoir de Rodez, a également réagi par voie de communiqué, en « déplorant cette situation tant du point de vue de la bientraitance animale que du respect du travail des éleveurs français ».
Après leur abattage, le lieu d’incinération des animaux a même dû être modifié, passant des équarrissages d’Agen dans le Lot-et-Garonne à ceux de Baylet dans l’Allier. La raison ? Choqués par la situation, des agriculteurs lot-et-garonnais projetaient de bloquer l’accès des équarrissages d’Agen, relate Sud Ouest.
Une opinion publique choquée
Après les révélations de Welfarm, l’information sur ce nouveau scandale lié aux exportations d’animaux à destination des pays tiers s’est répandue comme une traînée de poudre. De nombreux titres de la presse régionale et nationale, des radios et télévisions ont suivi ce « feuilleton » sinistre sur plusieurs jours. Sur les réseaux sociaux, les témoignages de citoyens et citoyennes choqués par le traitement réservé aux animaux se sont multipliés.
Le sort misérable de ces centaines de taurillons a donc ému à la fois les professionnels de la filière et le grand public. Une seule réponse est à même de répondre à cette indignation légitime : mettre un terme aux exportations d’animaux vivants à destination des pays tiers (Algérie, Égypte, Israël, etc.) pour les remplacer par le transport de carcasses.
Des annonces de janvier 2020 de l’ancien ministre Didier Guillaume qui n’ont pas été suivies d’effet
En attendant qu’une telle mesure voit le jour, les annonces de l’ancien ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation Didier Guillaume gagneraient à être enfin suivies d’effet. En janvier 2020, il avait annoncé un renforcement des sanctions en cas d’infractions à la réglementation relative au transport d’animaux vivants et l’imposition d’un dispositif d’enregistrement des températures à bord des navires bétaillers. Deux ans plus tard, ces mesures se font toujours attendre. Un projet de décret avait certes été envisagé en 2021 par le ministère de l’Agriculture, alors sous la tutelle de Julien Denormandie. Auditionnée sur ce texte, Welfarm en avait salué le bien-fondé tout en sollicitant son renforcement. À ce jour hélas, ce projet de décret est resté lettre morte…
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1 La rhinotrachéite infectieuse bovine est l’affection qui touche essentiellement les bovins, se traduit par une atteinte des voies respiratoires supérieures, mais peut éventuellement prendre la forme d’encéphalites (veaux), de conjonctivites, d’avortements et de métrites. L’IBR n’est pas transmissible à l’homme.